Un long chemin vers la liberte
exigeant qu ’ on les laisse entrer. Il y avait cinquante-deux volontaires en tout, des Africains et des Indiens ; et une foule de plusieurs centaines de spectateurs enthousiastes et de journalistes. Walter se trouvait en tête des volontaires ; sa présence prouvait que nous prenions les choses au sérieux. Nana Sita incarnait l ’ esprit des manifestants et, malgré son arthrite, il marchait parmi les volontaires, plein d ’ ardeur, en leur tapant dans le dos et en leur redonnant confiance.
Pendant une heure, chacun est resté sur ses positions. La retenue de la police et son comportement nous ont déconcertés. Etait-ce une tactique pour décourager les volontaires ? Attendaient-ils que les journalistes s ’ en aillent pour se lancer dans un massacre à la faveur de la nuit ? Ou se trouvaient-ils confrontés au dilemme qu ’ en nous arrêtant – ce qu ’ ils auraient fait en temps normal – ils faisaient exactement ce que nous voulions ? Mais alors que nous nous posions encore ces questions, la situation a brusquement changé. La police a fait ouvrir les portes. Les volontaires se sont précipités, violant ainsi la loi. Un lieutenant de police a soufflé dans un sifflet et, quelques secondes plus tard, les policiers ont commencé à encercler les volontaires et à les arrêter. La campagne suivait son cours. Ils ont emmené les manifestants au poste de police où on les a inculpés.
Le même soir, les responsables du Comité d ’ action, qui comprenait Oliver Tambo, Yusuf Cachalia et moi-même, nous devions assister à une réunion en ville pour discuter des événements de la journée et préparer la semaine suivante. Cela se passait près du quartier où le second groupe de volontaires, conduit par Flag Boshielo, président de la section centrale de l ’ ANC, allait se faire arrêter. Peu après 11 heures du soir, nous les avons rencontrés qui défilaient dans la rue ; le couvre-feu prenait effet à 23 heures et les Africains avaient besoin d ’ une autorisation s ’ ils se trouvaient à l ’ extérieur.
Nous sommes sortis de la réunion à minuit. J ’ étais épuisé et je ne pensais plus au défi mais seulement à un bon repas chaud et à une nuit de sommeil. A ce moment-là, un policier s ’ est approché de Yusuf et de moi. Il était évident que nous étions en train de rentrer chez nous et que nous ne manifestions pas. « Non, Mandela, a crié le policier, tu ne t ’ échapperas pas. » Il a montré le car de police avec sa matraque et a dit : « En voiture. » J ’ ai eu envie de lui expliquer que j ’ étais responsable de la campagne et qu ’ il était prévu que je manifeste et que je sois arrêté beaucoup plus tard, mais bien sûr, ç ’ aurait été ridicule. Quand il a été arrêté, Yusuf a éclaté de rire devant l ’ ironie de la situation. C ’ était merveilleux de le voir ainsi alors que la police l ’ emmenait.
Quelques instants plus tard, Yusuf et moi nous sommes retrouvés avec la bonne cinquantaine de volontaires conduits par Flag Boshielo qu ’ on emmenait en camion au commissariat de police de brique rouge qu ’ on appelait Marshall Square. En tant que responsables du Comité d ’ action, nous étions inquiets que les autres s ’ étonnent de notre absence et je me demandais qui prendrait la direction de la campagne. Mais nous avions bon moral. La camaraderie des volontaires en prison a fait que les deux jours ont passé très vite. Déjà, alors que nous allions en prison, les voix des volontaires qui chantaient Nkosi Sikelel ’ iAfrika (Dieu bénisse l ’ Afrique), l ’ hymne national africain à la beauté obsédante, faisaient vibrer les camions.
La première nuit, dans la cour de promenade, l ’ un de nous a été poussé si violemment par un gardien blanc qu ’ il est tombé de quelques marches et s ’ est cassé la cheville. J ’ ai protesté auprès du gardien, qui m ’ a donné un coup de pied dans le tibia. J ’ ai exigé que le blessé reçoive des soins et nous avons organisé une brève manifestation. Mais on nous a sèchement répondu que le blessé pouvait demander à voir le médecin le lendemain s ’ il le désirait. Pendant toute la nuit nous l ’ avons entendu souffrir.
Jusqu ’ alors je n ’ avais passé que de très brefs moments en prison, et cela a été ma première expérience véritable. Marshall Square était sale, sombre et défraîchi, mais nous étions ensemble et si exaltés, si
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