Un long chemin vers la liberte
enthousiastes que j ’ ai à peine remarqué le décor.
Le premier jour de la Campagne de défi, dans tout le pays, plus de 250 volontaires ont violé différentes lois injustes et ont été mis en prison. C ’ était un bon début. Nos troupes étaient en ordre, disciplinées et confiantes.
Pendant les cinq mois qui ont suivi, 8 500 personnes ont pris part à la campagne. Des médecins, des ouvriers, des avocats, des enseignants, des étudiants, des pasteurs ont défié les lois et sont allés en prison. Ils chantaient : « Hé, Malan ! Ouvre les portes des prisons. Nous voulons entrer. » La campagne s ’ est étendue à tout le Witwatersrand, à Durban, à Port Elizabeth et au Cap. La résistance commençait même à pénétrer dans les zones rurales. Dans le plus grand nombre des cas, les infractions étaient mineures et les peines allaient de quelques nuits jusqu ’ à une semaine de prison, avec la possibilité de payer à la place une amende qui ne dépassait pas 10 livres. La campagne reçut une énorme publicité et le nombre de membres de l ’ ANC grimpa de 20 000 à 100 000, l ’ augmentation la plus spectaculaire se situant dans l ’ Eastern Cape, qui compta la moitié des nouveaux membres.
Pendant les six mois de la campagne, j ’ ai parcouru tout le pays. Je me déplaçais en général en voiture, en partant le soir ou très tôt le matin. Je suis allé dans la province du Cap, dans le Natal et le Transvaal, pour expliquer la campagne à de petits groupes, parfois allant de maison en maison dans les townships. Souvent, j ’ avais pour tâche d ’ atténuer nos différences dans des zones qui s ’ apprêtaient à lancer des actions ou qui venaient de le faire. A cette époque, alors que la communication de masse pour les Africains restait primitive ou inexistante, la politique se limitait au quartier ou au village. Nous devions convaincre les gens un par un.
Une fois, je suis allé en voiture dans l ’ Eastern Cape pour résoudre un conflit dans lequel était impliqué Alcott Gwentshe, qui dirigeait la campagne à East London. Gwentshe, un ancien commerçant prospère, avait joué un rôle important en organisant la grève du 26 juin, à East London, deux ans plus tôt. Il était allé en prison au début de la Campagne de défi. C ’ était un homme solide et capable, mais il se montrait individualiste ; il ignorait les avis de la direction et prenait des décisions de façon unilatérale. Il s ’ entendait très mal avec sa direction, composée essentiellement d ’ intellectuels.
Gwentshe savait comment exploiter certains problèmes afin de discréditer ses adversaires. Il s ’ adressait aux membres locaux, qui étaient des ouvriers, et leur disait en xhosa, jamais en ainglais, car l ’ anglais était la langue des intellectuels : « Camarades, je crois que vous savez que j ’ ai souffert pour la cause. J ’ avais une bonne situation mais je suis allé en prison au début de la Campagne de défi et j ’ ai tout perdu. Maintenant je suis sorti de prison et ces intellectuels arrivent et disent : Gwentshe, nous sommes plus instruits que toi, nous sommes plus capables que toi, laisse-nous diriger la campagne. »
J ’ ai fait mon enquête et j ’ ai découvert que Gwentshe avait ignoré les avis de la direction. Mais les gens le soutenaient, et il avait créé un groupe de volontaires disciplinés et bien organisés qui avaient défié la loi très en ordre pendant que Gwentshe était en prison. Je pensais qu ’ il avait tort de ne pas tenir compte de la direction mais il faisait un excellent travail et était si bien installé qu ’ on ne pouvait pas le déloger facilement. Quand j ’ ai rencontré les membres de la direction, je leur ai expliqué qu ’ on ne pouvait rien faire maintenant mais que s ’ ils voulaient y porter remède, ils devaient le battre aux prochaines élections. Pour la première fois j ’ ai vu qu ’ il était imprudent d ’ aller contre l ’ avis d ’ un grand nombre de gens. Il ne sert à rien de décider d ’ une action à laquelle les masses sont opposées car il sera impossible de la mettre en œuvre.
Le gouvernement a vu la campagne comme une menace à sa sécurité et à sa politique d ’ apartheid. Il considérait la désobéissance civile non comme une forme de protestation mais comme un crime et il était inquiet de la collaboration grandissante entre Africains et Indiens. L ’ apartheid avait pour but
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