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Un long dimanche de fiancailles

Un long dimanche de fiancailles

Titel: Un long dimanche de fiancailles Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Sébastien Japrisot
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soupire : “C'est bien, mais pas plus de dix minutes. Dans dix minutes
exactement, je reviens avec le monsieur qui accompagne mademoiselle.
Lui aussi se fait du souci."
    Elle
s'en va, soulevant sa robe aux chevilles comme une coquette, pour
éviter que les bords ne traînent sur le gravier.

    Je
n'ai plus grand-chose à vous raconter mais c'est important,
reprend ce vieillard de quarante-trois ans, dans le souffle, crissant
comme la craie sur le tableau noir, qui vient de ses poumons
détruits.
    D'abord,
le lendemain, j'ai su que les sections de Bingo Crépuscule
avaient pris la tranchée d'en face et même la seconde
position des Allemands. Cela m'avait un petit air de victoire. Je me
rassurais de trouver moins vaine l'ignominie. C'est pas très
beau mais c'est comme ça.
    Après
les avoir recopiées, j'ai mis dans des enveloppes les lettres
des condamnés, je les ai données au premier vaguemestre
que j'ai aperçu. Puisque vous avez reçu celle de
Bleuet, je pense que les quatre autres sont parvenues à leurs
destinataires. Les copies que j'en ai faites sont sur vos genoux.
    Moi
aussi, des semaines plus tard, j'ai reçu une lettre. Elle
avait été écrite par le capitaine Favourier,
quelques heures à peine après que je l'ai quitté
endormi. Elle avait cheminé longtemps. Elle me retrouvait dans
les pâturages de l'été, à poser des rails
de chemin de fer, loin des horreurs du front.
    Vous
l'aimerez, j'en suis sûr, comme moi. Je vous la donne parce que
je la sais par cœur.
    Il
y a également une photographie dans le paquet que je vous ai
préparé. Elle a été prise par un de mes
territoriaux, quand j'avais le dos tourné. Il trimbalait
partout, accroché à sa ceinture, l'un de ces petits
appareils dont je ne sais pas encore s'ils étaient la magie ou
la honte de nos pauvres années de tranchée. Tant
d'images pour se glorifier de la prise d'un canon ou d'un soldat
ennemi exténué, tant d'images complaisantes à
l'enterrement d'un camarade. Mon territorial, dont le nom était
Prussien, ce qui ne lui plaisait pas plus qu'on pense, a été
tué en avril 17, dans le carnage du Chemin des Dames. La
photographie, sa veuve, que j'ai vue à Paris un an plus tard,
souffreteuse et comme obstinée à le rejoindre, me l'a
donnée.
    Je
ne suis pas meilleur que personne : dès que je me suis
trouvé dans les Vosges, mêlé à une
nouvelle compagnie, à un nouveau régiment, j'ai oublié
l'affaire de Bingo Crépuscule. Son souvenir ne me revenait
qu'en coups de griffes, certains soirs où j'avais trop forcé
sur le vin. Alors, j'étais comme tous les ivrognes, éperdu
d'échapper à mes remords, voulant tout casser. Bingo
Crépuscule. Pourquoi ce nom ? Je me le suis demandé
longtemps, je n'ai jamais trouvé.
    L'an
dernier, quand nous avons commencé, pour la seconde fois, à
refouler les Allemands sur la Marne, j'ai été blessé
aux jambes dans la forêt de Villers-Cotterêts. On m'a
retiré le fer du corps, morceau par morceau, autant qu'il
était faisable. Dans la gare où j'ai été
évacué, mon carton à la boutonnière, j'ai
revu Chardolot, l'un des deux caporaux qui étaient venusprendre en charge les condamnés, place de l'opéra.
Il gisait sur un des brancards par dizaines alignés le long du
quai. J'avais la chance d'être déjà sur des
béquilles. Sa blessure - le ventre - était autrement plus grave que les miennes.
    Je peux le dire, il était exsangue, si maigre que je doutais
de le reconnaître, mais en me voyant penché sur lui, il
a eu un sourire, il a murmuré : " Tiens donc, le
sergent Espérance." Je lui ai dit : " Mon ami,
si j'avais su, j'aurai laissé tout le monde filer dans la
campagne."
    Il
voulait rire, quand j'ai dit ça, et
du ton que j'avais pris, mais rire lui faisait mal, comme à
moi aujourd'hui.
    Je lui ai demandé bien sûr, ce qu'il était advenu
après mon départ de la tranchée. Il a bougé
un peu la tête, il m'a dit comme mon commandant, cela faisait
déjà dix-huit mois : " Des folies."
    Ensuite
il a fait un effort, il s'est presque redressé sur les coudes
et m'a soufflé : "Ils sont tous morts, les cinq dans
le bled, le lieutenant, mes camarades. Le capitaine aussi, quand on a
pris les tranchées d'en face. " Il voulait que je me
penche davantage, j'ai plié les genoux pour l'entendre.
    J'ai
entendu : " on est rentré dans du mou. On a sauté
sur la première et la seconde position sans perdre un
bonhomme, et quand on est arrivé sur la troisième, ils
nous ont

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