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Un Monde Sans Fin

Un Monde Sans Fin

Titel: Un Monde Sans Fin Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Ken Follett
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demandait qu’à s’exprimer, et depuis si longtemps. Pleurant parce qu’elle
avait été emmenée de force hors de la ville au bout d’une corde par un faux
colporteur, pleurant parce qu’elle avait dû subir les violences d’Alwyn,
pleurant parce que trop de gens étaient morts dans l’écroulement du pont,
pleurant enfin parce que Wulfric en aimait une autre.
    Au bout d’un moment, elle parvint à bredouiller entre ses
sanglots : « Pa m’a vendue, Ma. Il m’a vendue pour une vache, et j’ai
dû aller avec des proscrits.
    — Ce n’était pas bien, déclara la mère.
    — Non, c’est bien pire que pas bien ! C’est mal.
C’est un geste inspiré par le Malin. Pa est le diable. »
    Ma mit fin à l’embrassade. « Ne dis pas des choses
pareilles.
    — Mais c’est la vérité !
    — C’est ton père.
    — Je n’ai pas de père. Un père ne vend pas ses enfants
comme du bétail.
    — Il t’a nourrie pendant dix-huit ans. »
    Gwenda la regarda sans comprendre. « Comment peux-tu
être si dure ? Il m’a vendue à un hors-la-loi !
    — Grâce à quoi nous possédons désormais une vache. Éric
aura du lait, même si le mien tarit. Et finalement, tu es de retour, pas
vrai ?
    — Tu ne vas pas le défendre, quand même ! réagit
Gwenda, interloquée.
    — Il est tout ce que je possède dans la vie, Gwenda. Ce
n’est pas un prince, ni même un paysan. C’est un journalier sans terre, qui
fait tout ce qu’il peut pour sa famille depuis près de vingt-cinq ans. Qui
travaille quand il arrive à se faire embaucher, et qui vole quand il y est
obligé. Quels que soient ses défauts, nous serions dans une situation bien pire
s’il n’était pas là. Ton frère et toi ne seriez plus de ce monde. Si les vents
nous sont favorables, il saura aussi garder en vie les trois petits, Cath,
Joanie et Éric. Alors, ne va pas dire que c’est le diable. »
    Le discours de sa mère laissait Gwenda éberluée. Non
seulement son père l’avait vendue, idée à laquelle elle s’habituait à peine,
mais encore sa mère trouvait cela normal ! Le monde s’écroulait sous ses
pieds, comme le pont l’autre jour. Elle comprenait à peine ce qui lui arrivait.
    Son père rentra dans la maison, lesté de son cruchon de
bière. Il alla prendre trois bols en bois sur l’étagère au-dessus de la
cheminée. « Eh bien ! lança-t-il gaiement, imperméable à la tension
qui régnait dans la pièce. Buvons au retour de notre fille aînée ! »
    Morte de faim et de soif après cette longue journée de
marche, Gwenda vida son bol d’un trait. « À quoi tu penses, au
juste ? demanda-t-elle à son père, devinant à sa bonne humeur qu’il
mijotait un mauvais coup.
    — Eh bien, je me dis que la semaine prochaine, c’est la
foire de Shiring.
    — Et alors ?
    — Je me dis donc qu’on pourrait remettre ça.
    — Quoi, ça ? insista-t-elle, osant à peine en
croire ses oreilles.
    — Je te vends, tu pars avec l’acheteur, tu t’échappes
et tu reviens à la maison. Pas plus difficile que ça.
    — Pas plus difficile ?
    — Et nous, on se fait douze shillings ! Ben quoi,
douze shillings, c’est presque tout ce que je gagne en un an.
    — Et après, ce sera quoi ?
    — Ben, il y a Winchester et Gloucester. Je sais pas,
moi. Les foires, c’est pas ce qui manque ! dit-il en remplissant à nouveau
le bol de Gwenda. Ça pourrait nous rapporter bien plus gros que la fois où tu
as volé la bourse de sieur Gérald ! »
    Gwenda prit le bol dans ses mains, mais elle ne put le
porter à ses lèvres. Une amertume, un goût de pourri, avait envahi sa bouche.
Elle aurait voulu faire entendre raison à son père. Mais seuls des mots durs se
présentaient à son esprit – des accusations coléreuses, des malédictions –,
elle préféra donc garder le silence. Le sentiment qui la dominait dépassait de
loin la simple rage. À quoi bon débattre du sujet ? Sa confiance en son
père était détruite à jamais. Et en sa mère aussi, puisqu’elle choisissait de
soutenir son mari.
    « Qu’est-ce que je vais faire ? »
prononça-t-elle à haute voix, se posant la question à elle-même et n’attendant
aucune réponse, comprenant qu’aux yeux de sa famille elle était devenue un
produit, une marchandise bonne à vendre à la foire.
    Quel recours avait-elle pour échapper à ce destin ?
    Partir. C’était la seule solution.
    Elle se rendait compte subitement, et avec une stupéfaction
immense,

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