Un Monde Sans Fin
empalé sur les andouillers. Oh, il s’était débattu pendant que
les autres chiens se jetaient sur l’animal épuisé, mais ses soubresauts
n’avaient abouti qu’à perforer davantage ses entrailles prises au piège de la
ramure et William avait dû lui trancher la gorge pour mettre un terme à ses
souffrances. « C’était un chien courageux, dit Ralph en posant une main
compatissante sur l’épaule de William.
— Valeureux comme un lion ! » renchérit
William.
Sur l’inspiration du moment, Ralph décida de s’ouvrir au
seigneur de ses projets personnels, car une meilleure occasion ne se
représenterait peut-être pas de longtemps. Cela faisait maintenant sept ans
qu’il était au service du comte Roland ; il était brave et fort et il lui
avait sauvé la vie quand le pont s’était écroulé. Pourtant il n’avait reçu
aucun avancement, il était toujours écuyer. Qu’attendait-on de plus de
lui ?
La veille, dans une taverne sur la route de Kingsbridge à
Shiring, il était tombé par hasard sur son frère. Merthin, qui se rendait à la
carrière du prieuré, lui avait appris qu’il allait construire le plus beau pont
d’Angleterre, ajoutant qu’il serait riche et célèbre et que leurs parents en
frémissaient d’une joie anticipée. La nouvelle avait exacerbé les désirs
inassouvis de Ralph.
En cet instant, tandis qu’il s’adressait au seigneur
William, il ne parvenait pas à trouver les mots justes pour formuler sa
requête. Voilà pourquoi il plongea, tête la première. « Trois mois se sont
écoulés depuis que j’ai sauvé la vie de votre père à Kingsbridge.
— Plusieurs personnes revendiquent cet honneur »,
laissa tomber William, et ses traits se figèrent dans une expression dure qui
n’était pas sans rappeler son père.
« C’est moi qui l’ai tiré hors de l’eau.
— Et Matthieu le Barbier a recollé son crâne, et les
bonnes sœurs ont changé ses bandages, et les moines ont prié pour lui. Quoi
qu’il en soit, c’est Dieu qui lui a prêté vie.
— Amen ! répondit Ralph. J’espérais cependant une
faveur.
— Mon père n’est pas facile à satisfaire.
— C’est aussi vrai que la Bible, renchérit l’évêque
Richard, qui se tenait tout près, rouge et couvert de sueur.
— Ne t’en plains pas ! rétorqua son frère. Sa
dureté a fait de nous des hommes forts.
— Pour autant que je m’en souvienne, elle nous a
surtout fait souffrir. »
William s’éloigna. De toute évidence, il ne souhaitait pas
débattre de cette question devant un inférieur.
Quand les chevaux furent à l’écurie, les hommes se
dispersèrent. Au-delà des cuisines, des casernes et de la chapelle, un second
pont-levis permettait d’accéder à un terrain clos qui n’était autre que la
boucle supérieure du huit formée par les douves. C’était ici que vivait le
comte, dans un donjon dont le rez-de-chaussée était occupé par des entrepôts
au-dessus desquels se trouvait une grande salle. Tout en haut, comme le voulait
la tradition, il y avait encore une chambre à coucher. Une colonie de freux qui
avaient établi résidence dans les grands arbres entourant le donjon se
pavanaient au sommet des remparts, tels des sergents, exprimant leur
mécontentement avec force caquètements.
Roland siégeait dans la grande salle. Il avait changé ses
habits de chasse contre une longue robe pourpre. Ralph se tenait près de lui,
bien décidé à évoquer la question de son avancement à la première occasion.
Roland était en train de converser agréablement avec dame
Philippa, l’épouse du seigneur William, l’une des rares personnes qui pouvait
se permettre de le contredire. Ils parlaient du château. « Quand on pense
qu’il n’a pas été réaménagé depuis une bonne centaine d’années !
s’étonnait Philippa.
— C’est parce qu’il a été construit selon un excellent
plan, répondit Roland de sa moitié de bouche. L’ennemi dépense la majeure
partie de ses forces à pénétrer dans l’enceinte intérieure et, quand enfin il y
parvient, il se retrouve à devoir mener une nouvelle bataille pour atteindre le
donjon.
— C’est bien ce que je dis ! Ce château a été
construit pour être imprenable en cas d’attaque, et non dans le souci que ses
occupants y vivent confortablement. Et quand un château a-t-il été attaqué pour
la dernière fois dans cette partie de l’Angleterre ? Je ne me rappelle pas
qu’un seul l’ait été de
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