Un Monde Sans Fin
enthousiaste. Nous risquons gros dans cette affaire. Peut-être même
de perdre tout. Mais quelle autre solution avons-nous ? Nous sommes
acculés. Sans pont, nous n’aurons plus qu’à fermer boutique. »
Edmond continuait de secouer la tête d’un air dubitatif.
« Quoi qu’il en soit, je ne peux prendre aucun accord au nom de la guilde
sans en avoir discuté avec les bailleurs de fonds. Je ne sais pas comment ils
réagiront quand je leur aurai fait part de cette proposition. Enfin... je ferai
mon possible pour les convaincre, ajouta-t-il en regardant Godwyn droit dans
les yeux, puisque tu ne nous offres rien de mieux. »
Godwyn n’avait pas vraiment fait de proposition, songea
Caris, mais il ne semblait pas s’en rendre compte car il déclara sur un ton
ferme : « Je n’ai rien de plus à dire ! »
Et Caris jubila intérieurement : « Bien attrapé,
gros malin ! »
*
« C’est plutôt toi, la maligne ! » s’exclama
Merthin quand Caris lui raconta l’entretien.
Il était allongé entre ses jambes, la tête sur sa cuisse, et
triturait ses poils pubiens. Ils venaient de faire l’amour pour la deuxième
fois de leur vie et en avaient tiré une joie plus grande encore. À présent, ils
rêvassaient, plongés tous deux dans cet état plaisant des amoureux satisfaits.
Et il admirait son talent tandis qu’elle lui détaillait par le menu la
négociation avec le prieur.
« Ce bail à perpétuité sur le pont et la terre
alentour, c’est inestimable ! Le meilleur, c’est que Godwyn reste persuadé
d’avoir remporté la victoire après d’âpres discussions !
— Tout de même, c’est affligeant de constater que les
finances du prieuré ne seront pas mieux administrées que du temps de ton oncle
Anthony. »
Ils se trouvaient dans la forêt, dans une clairière
fréquentée depuis des siècles par les amoureux. Ils étaient protégés des
regards indiscrets par des buissons de ronces, et du soleil par une rangée de
grands hêtres au pied desquels un petit ruisseau bondissait sur les pierres et
s’élargissait pour former une vasque. Ils s’y étaient baignés nus avant de
faire l’amour sur l’herbe grasse. Quiconque serait venu à traverser ce bois
aurait évité ces fourrés. Ils ne risquaient donc pas d’être aperçus, sauf
peut-être par des enfants en quête de mûres. C’était ainsi que Caris avait découvert
l’existence de cette clairière, avait-elle appris à Merthin.
D’une voix paresseuse, il disait maintenant :
« Pourquoi as-tu demandé à obtenir un bail sur cette île ?
— Je ne sais pas très bien. Il est évident qu’elle n’a
pas autant de valeur que les terrains situés à chaque bout du pont. La terre
n’y est pas très fertile, mais on pourrait l’améliorer. À la vérité, j’ai pensé
que Godwyn n’en ferait pas un argument d’opposition, alors je me suis
dit : pourquoi ne pas l’inclure dans le lot ?
— Est-ce que tu succéderas un jour à ton père à la tête
de ses affaires de laine ?
— Sûrement pas !
— Tu es bien catégorique. Pourquoi ?
— Ce commerce dépend trop des volontés du roi. Il peut
taxer la laine trop facilement. Il vient de décréter un nouvel impôt d’une
livre par sac, qui s’ajoute à celui déjà existant de deux tiers de livre. La
laine est devenue si chère de nos jours que les Italiens se fournissent
désormais dans d’autres pays, en Espagne par exemple.
— Quand même, c’est un bon moyen de gagner sa vie.
Qu’est-ce que tu aimerais faire d’autre ? » La conversation
commençait à dévier sur un terrain qu’elle ne voulait pas aborder : le
mariage.
« Je ne sais pas... Quand j’avais huit ans, je voulais
être médecin, confia-t-elle en souriant à ce souvenir. J’étais persuadée que si
j’avais étudié la médecine, j’aurais pu sauver ma mère. Tout le monde se
moquait de moi. Je ne me rendais pas compte que seuls les hommes ont le droit
d’être médecins.
— Tu pourrais devenir guérisseuse, comme Mattie la
Sage.
— Je vois d’ici la réaction de Pétronille ! Mère
Cécilia considère que mon destin est d’entrer en religion. »
Il rit. « Si elle nous voyait maintenant ! »
Il posa les lèvres sur la peau si douce à l’intérieur de ses cuisses.
« Elle aimerait sûrement être à ma place, dit Caris. Tu
sais ce qu’on raconte sur les bonnes sœurs.
— Comment cette idée lui est-elle venue ?
— En me voyant m’occuper des
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