Un Monde Sans Fin
à
Pétronille.
Je lui ai dit qu’elle pouvait tenter le coup. »
*
Le château de Shiring se dressait au sommet d’une colline.
Il abritait les geôles et la demeure du shérif du comté. Mais ce n’était pas là
que les prisonniers étaient exécutés. La potence était montée au pied de la
colline, devant l’église, sur la place du marché. Les prisonniers y étaient
conduits du château à bord d’une charrette.
C’était également sur cette place que se tenait la foire,
entre la halle de la guilde et un grand bâtiment de bois appelé bourse à la
laine, à quelques pas du palais de l’évêque. Dans les rues alentour, il y avait
de nombreuses tavernes.
Cette année, en raison des problèmes que connaissait
Kingsbridge, la foire de Shiring bénéficiait d’une affluence inégalée. Les
stalles débordaient dans les ruelles adjacentes. Edmond avait apporté quarante
sacs de laine à bord de dix chariots et il avait prévu d’en faire venir encore
avant la fin de la semaine, si besoin était.
À la consternation de Caris, ce ne fut pas nécessaire. Car
s’il vendit dix sacs le premier jour, il n’en écoula plus un seul jusqu’à la
fin de la foire. Le dernier jour, il dut en brader dix autres à un prix
inférieur à celui auquel il les avait achetés. De toute sa vie, la jeune fille
ne l’avait vu aussi abattu.
Elle avait placé ses quatre rouleaux de tissu d’une couleur
brun-rouge sur le présentoir de son père et vendait sa bure au détail. À la fin
de la foire, il lui restait un seul rouleau sur les quatre. Le dernier jour,
elle dit à son père : « Regarde ! Avant tu avais un sac de laine
invendable et quatre shillings, aujourd’hui tu as trente-six shillings et un
seul rouleau de tissu. »
Elle tentait ainsi de lui redonner courage mais, en vérité,
elle était bien accablée. Certes, elle n’avait pas connu un échec cuisant, mais
elle n’avait pas non plus remporté le triomphe qu’elle escomptait. Que
faire ? Si elle ne parvenait pas à vendre son tissu plus cher qu’il ne lui
coûtait à produire, alors le problème était insoluble. Elle abandonna son étal
pour aller examiner la marchandise des concurrents.
La plus belle venait d’Italie, comme toujours. Caris
s’arrêta devant la stalle de Loro le Florentin. Les marchands de tissu de son
envergure n’achetaient pas la laine, même s’ils travaillaient souvent en
étroite collaboration avec les acheteurs en gros. Loro remettait les recettes
de ses ventes en Angleterre à Buonaventura qui les employait à acheter la laine
vierge en Angleterre. À Florence, la famille de Buonaventura vendait la laine,
et c’était sur ces gains-là qu’elle remboursait plus tard la famille de Loro.
Cette pratique permettait d’éviter le transport toujours hasardeux de tonneaux
remplis de pièces d’or et d’argent d’un bout à l’autre de l’Europe.
Loro n’avait plus que deux rouleaux de tissu sur son étal.
Les couleurs en étaient beaucoup plus lumineuses que celles des tissus produits
en Angleterre. « C’est tout ce vous avez apporté ? s’étonna Caris.
— Bien sûr que non. Tout le reste est vendu.
— Vraiment ? J’entends dire partout que c’est une
très mauvaise foire. »
Il haussa les épaules. « Les belles étoffes se vendent
toujours. »
Une idée était en train de se former dans l’esprit de Caris.
« C’est combien, l’écarlate ?
— Sept shillings le yard, maîtresse. »
Sept fois le prix de sa bure !
« Mais qui peut s’offrir cette merveille ?
— L’évêque m’en a pris une grande quantité de rouge et
dame Philippa un peu de la bleue et de la verte. Et puis il y a les filles des
brasseurs et des boulangers de la ville, les seigneurs et les dames des
villages alentour. Il y a toujours quelqu’un qui prospère, même lorsque les
temps sont durs... Ce vermillon serait superbe sur vous. » D’un geste
rapide, il déroula le tissu et en drapa une longueur sur l’épaule de Caris.
« Magnifique. Voyez comment les gens vous regardent déjà ! »
Elle sourit. « Je comprends maintenant pourquoi vous en
vendez tant. » Elle fit rouler le tissu entre ses doigts, admirant le
tissage très serré. Elle avait eu jadis un manteau de ce même écarlate italien.
C’était son vêtement préféré. Il lui venait de sa mère. « Quel colorant
utilisez-vous pour obtenir ce rouge ?
— De la garance, comme tout le monde.
— Mais vous y ajoutez
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