Un Monde Sans Fin
nous libérera de la tutelle du
prieuré. D’après notre avocat, nous avons de bonnes chances de réussir.
Enfin... Il pensait aussi que nous gagnerions dans cette affaire ! Le roi
est aux abois. Il lui faut de l’argent pour mener sa guerre contre la France ;
il a besoin de villes prospères qui lui versent de lourds impôts.
— Combien de temps faut-il pour obtenir une
charte ?
— Une année, voire plus, ce qui n’est pas une bonne
nouvelle.
— Et pendant ce temps, tu ne pourras pas fabriquer ton
tissu écarlate.
— Non, du moins pas avec le vieux moulin du prieuré.
— Ce qui fait que nous serons nous aussi obligés
d’arrêter le travail sur le pont.
— Je ne vois pas d’issue.
— Quelle plaie ! » Merthin soupira. Et tout
cela par la seule obstination d’un homme qui s’évertuait à leur mettre des
bâtons dans les roues alors qu’ils s’échinaient pour rendre sa prospérité à la
ville ! Comment pouvait-on se montrer aussi déraisonnable !
« Ah, nous avons bien mal jugé Godwyn ! reprit-il.
— Ne m’en parle pas !
— En tout cas, nous devons échapper à sa tutelle, c’est
capital.
— Oui.
— Et le plus tôt sera le mieux !
— Si seulement il y avait un moyen ! »
Merthin se mit à réfléchir sans cesser d’étudier Caris. Elle
portait une robe qu’il ne lui connaissait pas. Probablement rapportée de
Londres. Bicolore, comme le voulait la mode. Elle ajoutait une note de gaieté à
son air solennel et anxieux. Ses couleurs, vert foncé et bleu moyen, semblaient
avoir été créées dans le seul but de rehausser son teint et de faire miroiter
ses yeux. Qu’elle était belle, aujourd’hui ! Merthin se surprenait souvent
à s’en faire la remarque au beau milieu d’une conversation, alors qu’ils
débattaient de sujets sérieux – le plus souvent du pont, car ils parlaient
rarement d’autre chose désormais. Le fait de penser à Caris n’empêchait pas la
partie de son cerveau dévolue à résoudre les problèmes ardus de fonctionner
efficacement. Et c’est ainsi qu’une idée lumineuse lui vint. « Si nous
voulons disposer librement d’un moulin, nous devons le construire ! »
Caris secoua la tête. « Tu sais bien que nous n’en
avons pas le droit. Godwyn ordonnera immédiatement à John le Sergent de le
démolir.
— Et si nous le construisons en dehors des limites de
la ville ?
— Dans la forêt, tu veux dire ? C’est tout aussi
interdit. Là, ce seront les forestiers du roi que tu auras sur le dos.
— Je ne pensais pas à la forêt, mais ailleurs.
— Où qu’on aille, il faudra obtenir l’autorisation du
seigneur.
— Mon frère est seigneur. »
Au nom de Ralph, Caris eut une expression de dégoût qui s’effaça
sitôt qu’elle eut compris à quoi pensait Merthin. « Construire le moulin à
Wigleigh, tu veux dire ?
— Exactement !
— Y a-t-il un cours d’eau, là-bas, pour faire tourner
la meule ?
— Je crois bien. Mais s’il n’y en a pas, on pourra
toujours y atteler un bœuf qui le fera tourner. Comme pour le bac !
— Et Ralph l’autorisera ?
— Évidemment, c’est mon frère. Si je le lui demande, il
dira OUI.
— Godwyn sera fou de rage.
— Ralph n’en a rien à faire de Godwyn. »
À l’évidence, cette idée remplissait Caris de joie et
d’excitation. Elle était heureuse de voir le problème résolu et ravie de damer
le pion à Godwyn. Mais par-delà ces deux sentiments, Merthin n’arrivait pas à
déchiffrer ses autres pensées.
« Réfléchissons bien avant de nous réjouir !
disait-elle. Godwyn va édicter un règlement interdisant de sortir le tissu de
Kingsbridge pour le fouler ailleurs. Un bon nombre de villes ont des lois
semblables.
— Il aura du mal à la faire appliquer sans le soutien
de la guilde. D’ailleurs, tu peux la contourner aisément. Tu m’as bien dit que
la plus grosse partie de ton tissu était fabriquée dans les villages alentour,
n’est-ce pas ?
— Oui.
— Eh bien, ne le ramène pas en ville. Demande aux
tisserands de le livrer à Wigleigh. Effectue la teinture et le foulage là-bas, dans
le nouveau moulin, et envoie-le à Londres directement de Wigleigh. Godwyn
n’aura ainsi aucune juridiction sur ce tissu.
— Combien de temps faut-il pour construire un
moulin ? »
Merthin réfléchit. « Le bâtiment lui-même devrait
prendre deux jours, la machinerie plus longtemps, parce qu’il faut mesurer le
bois avec
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