Un Monde Sans Fin
toujours la peine de mort. En prenant la fuite, il s’est déclaré
proscrit.
— Il n’y a vraiment rien qu’il puisse faire ?
— Il pourrait obtenir le pardon du roi, mais cela coûte
une fortune. Une somme considérable que je serais bien en peine de gagner, et
lui moins encore.
— Ça ne te chagrine pas ? »
Merthin fit la grimace. « Comment te dire ? Il
mérite d’être châtié pour ce qu’il a fait, naturellement. Mais je ne vais quand
même pas regretter qu’il n’ait pas été pendu. Je ne peux qu’espérer que tout
aille bien pour lui, où qu’il se trouve. »
Au cours des derniers jours, il avait répété à maintes gens
le récit de ces événements. De tous, c’était Élisabeth qui lui avait posé les
questions les plus pertinentes. Elle était intelligente et n’était pas non plus
dénuée de compassion. La pensée l’effleura qu’il pourrait très bien passer
ainsi tous les dimanches après-midi de sa vie.
Sairy, la mère d’Élisabeth, qui somnolait au coin de l’âtre
selon son habitude, ouvrit les yeux brusquement. « Mon âme ! J’ai
oublié le pâté en croûte ! » Elle se leva en tapotant ses cheveux
gris décoiffés. « J’avais promis à Betty la Boulangère de lui faire un
pâté en croûte fourré au jambon et aux œufs. Demain, la guilde des tanneurs
tient son dernier dîner avant le carême à l’auberge de La Cloche. » Elle
jeta une couverture sur ses épaules et sortit.
Il était rare que Merthin se retrouve ainsi en tête à tête
avec Élisabeth, et il se sentit un peu gauche. La jeune fille, pour sa part,
paraissait plutôt détendue. Elle dit : « Que comptes-tu faire,
maintenant que tu ne travailles plus au pont ?
— Entre autres choses, je construis déjà une maison
pour Dick le Brasseur. Il voudrait se retirer des affaires et transmettre sa
brasserie à son fils. À ce qu’il dit, tant qu’il restera à l’auberge de
L’Alambic, il trouvera toujours quelque chose à faire. C’est pour cela qu’il
voudrait une maison en dehors de la ville, avec un jardin.
— Ah, tu veux parler de ce terrain derrière le Champ
aux amoureux ?
— Oui. Ce sera la plus grande demeure de Kingsbridge.
— Un brasseur n’est jamais à court d’argent !
— Tu veux que je te montre le site ?
— Le site ?
— Le chantier, si tu préfères. Les travaux ne sont pas
terminés mais la maison a déjà quatre murs et un toit.
— Là, tout de suite ?
— On a encore une bonne heure de jour. »
Elle hésitait, comme si elle avait prévu une autre
occupation pour la journée. « Volontiers », consentit-elle au bout
d’un moment.
Ils passèrent leurs lourds manteaux à capuche et sortirent.
C’était le premier jour du mois de mars. Des bourrasques de neige les
poursuivirent jusqu’au bas de la côte. Ils prirent le bac pour rejoindre
l’autre rive et les faubourgs de la ville.
Malgré les hauts et les bas que connaissait alors le
commerce de la laine, la ville semblait regagner chaque jour un peu plus de sa
prospérité d’antan. Le prieuré transformait nombre de ses pâturages et vergers
en maisons d’habitation destinées aux nouveaux arrivants. À présent, le
faubourg devait bien compter une cinquantaine de logements qui n’existaient pas
douze ans plus tôt, à l’époque où la famille de Merthin était venue s’installer
à Kingsbridge.
La nouvelle maison de Dick le Brasseur se dressait à l’écart
de la route. C’était un bâtiment de deux étages qui n’avait pour l’heure ni
porte ni volets et dont les ouvertures étaient bouchées par des planches ou des
nattes de jonc tressé. Merthin en fit le tour et mena Élisabeth jusqu’à une
petite porte en bois pourvue d’une serrure, installée provisoirement.
Jimmie, le gamin de seize ans qui lui servait d’apprenti, se
tenait dans la cuisine. Il était chargé de garder la maison. C’était un garçon
superstitieux, toujours en train de se signer ou de jeter du sel par-dessus son
épaule. Assis sur un banc devant une belle flambée, il avait l’air inquiet.
« Bonjour, maître. Puisque vous voilà, puis-je sortir pour aller chercher
mon dîner ? Lol Turner était censé me l’apporter, mais il n’est pas venu.
— Oui, mais fais bien attention à ne pas te laisser
surprendre par la nuit.
— Merci. » Il partit d’un pas vif.
Merthin franchit le seuil et pénétra dans la maison.
« Il y a quatre salles en bas..., dit-il avec un grand
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