Un Monde Sans Fin
pas celui, hilarant, d’une vieille folle
condamnée à être pendue, c’était le combat qu’une habitante de la ville connue
et respectée de tous devait livrer pour défendre sa vie.
Philémon déclara : « Le plus convaincant de tous
nos témoins, mon évêque et seigneur, sera le dernier à se présenter, un proche
de l’accusée puisqu’il s’agit de son beau-frère, Elfric le Bâtisseur. »
Caris en resta pantoise. Après son cousin Godwyn, le frère
de sa meilleure amie, Philémon, et l’instant d’avant Élisabeth, voilà que le
mari de sa propre sœur s’apprêtait à témoigner contre elle ! Ce coup bas,
d’une traîtrise insigne, lui vaudrait le mépris de ses concitoyens.
Elfric se leva. Son expression de défi, mieux que toute
autre chose, fit comprendre à Caris la honte qu’il éprouvait au fond de lui.
« Je parle sous le sceau du serment car j’espère être sauvé »,
commença-t-il.
Caris chercha vainement sa sœur dans la foule. Si Alice
avait été là, elle aurait certainement retenu Elfric. Son mari devait lui avoir
ordonné de rester à la maison sous un prétexte ou sous un autre. Elle n’avait
probablement aucune idée de ce qui se déroulait en ce moment.
« J’ai vu Caris parler à des présences invisibles dans
des pièces vides ! déclara Elfric.
— À des esprits ? lui souffla Philémon.
— Je le crains. »
Un murmure d’horreur accueillit cette déclaration.
Il était vrai que Caris parlait souvent tout haut
lorsqu’elle était seule. Habitude qui ne portait pas à conséquence, même si
elle était un peu embarrassante. C’était le lot des gens imaginatifs, affirmait
son père. Et voilà qu’on s’en servait maintenant pour la condamner !
Elle se mordit les lèvres pour s’empêcher de protester avec
force. Mieux valait laisser le procès suivre son cours. Elle réfuterait les
accusations plus tard, l’une après l’autre, sitôt que la parole lui serait
donnée.
« Et quand s’adonne-t-elle à ce genre d’activité ?
voulut savoir Philémon.
— Quand elle se croit seule, répondit Elfric.
— Que dit-elle exactement ?
— Ce n’est pas facile de saisir ses paroles, il doit
s’agir d’une langue étrangère. »
Les fidèles réagirent avec émotion à cette assertion. Les
sorcières et leurs acolytes usaient d’une langue qu’ils étaient seuls à
comprendre, croyait-on.
« Cependant, que dit-elle à votre avis ?
— Si j’en juge par son ton, elle demande de
l’aide ; elle supplie la chance de l’accompagner et maudit tous ceux qui
lui porteront malheur. Ce genre de choses, quoi. »
À ces mots, Merthin ne put contenir davantage sa révolte.
« Ce témoignage ne constitue en aucun cas une preuve. »
Tous les yeux se tournèrent vers lui. Il ajouta :
« Elfric vient d’admettre qu’il ne comprenait pas ce que disait Caris.
Comment peut-il alors citer ses paroles ? Ce ne sont là que des
inventions ! »
Il y eut bien quelques citoyens modérés pour soutenir
Merthin, mais Caris les aurait souhaités plus nombreux et plus véhéments.
« Silence ! ordonna l’évêque Richard, prenant la
parole pour la première fois. Les personnes qui troublent les débats seront
mises à la porte par le sergent de ville. Poursuivez, frère Philémon. Mais
n’incitez pas les témoins à fabriquer des preuves quand ils viennent d’admettre
qu’ils ignoraient la vérité. »
À défaut d’autre chose, la remarque était impartiale, Caris
s’en réjouit. Richard et les siens ne portaient pas Godwyn dans leur cœur
depuis la querelle survenue lors du mariage de Margerie. Toutefois, en tant
qu’ecclésiastique, le prélat ne devait pas voir d’un bon œil la ville échapper
au prieuré si elle obtenait une charte royale. Mais peut-être observerait-il
dans ce domaine aussi une stricte neutralité ? Caris ne pouvait que
l’espérer.
Philémon reprit son interrogatoire : « Maître
Elfric, pensez-vous que les formules que prononce l’accusée lui soient d’un
secours quelconque ?
— Sans aucun doute ! répliqua le constructeur. Les
amis de Caris, ceux à qui elle manifeste ses faveurs, se trouvent avoir tous
beaucoup de chance. Merthin est devenu un bâtisseur reconnu, bien qu’il n’ait
jamais terminé son apprentissage de charpentier ; Marc le Tisserand est
aujourd’hui un homme riche, lui qui était un indigent encore tout
récemment ; et son amie Gwenda a épousé un homme promis à
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