Un Monde Sans Fin
intervention, d’autres la huèrent.
Le frère lai suscitait toujours des réactions passionnées. « L’hérésie est
le fruit du Malin, commença-t-il sur son ton de prêcheur. Elle corrompt les
âmes des hommes et des femmes...
— Merci, mon frère, mais je crois savoir en quoi
consiste l’hérésie, le coupa Richard. Avez-vous autre chose à dire ?
Sinon...
— Juste ceci, répliqua Murdo. Je suis d’accord avec ce
qui a été dit et je répète...
— Si cela a déjà été dit...
— ... Le commentaire que vous avez fait vous-même, à
savoir : l’accusation est forte, mais la défense aussi.
— Dans ce cas...
— J’ai une solution à proposer.
— Très bien, frère Murdo, de quoi s’agit-il ? Et
en termes concis, je vous prie.
— L’accusée doit être examinée afin de déterminer si
elle porte, oui ou non, la marque du diable ! »
Caris crut que son cœur s’arrêtait de battre.
« Bien sûr, dit l’évêque. Je crois me souvenir que vous
avez fait la même suggestion au procès précédent.
— Bien sûr, monseigneur, car le Malin tète le sang
chaud de ses acolytes grâce à ce mamelon dont il est seul à faire usage, de
même que le bébé qui vient de naître tète les seins gonflés...
— Très bien, mon frère, je vous remercie. Inutile
d’entrer dans les détails. Mère Cécilia, voulez-vous emmener l’accusée dans un
lieu où vous pourrez l’examiner avec deux autres religieuses ? »
Caris regarda Merthin. Il était saisi d’horreur. Tous deux
pensaient au grain de beauté de Caris.
Il était tout petit, mais les religieuses ne manqueraient
pas de le découvrir, car il se trouvait exactement à l’endroit que le démon
préférait assurément entre tous : juste à côté de sa vulve, en dessous de
la fente, à gauche. De couleur sombre, il se voyait parfaitement parmi les
poils roux qui l’entouraient. La première fois que Merthin l’avait remarqué, il
avait fait une plaisanterie : « Tu n’as pas intérêt à le montrer à
Murdo, il te traiterait de sorcière ! » Et elle avait répondu :
« Oh, ça ne risque pas, quand bien même il serait le dernier homme sur
terre ! » Comment avaient-ils pu parler avec tant de légèreté d’un
grain de beauté qui maintenant la condamnait à mort ! Elle promena sur
l’assemblée un regard désespéré. Elle aurait voulu fuir, mais des centaines de
gens l’entouraient et, parmi eux, un grand nombre chercherait à l’arrêter. Elle
vit que Merthin avait porté la main sur le couteau pendu à sa ceinture. Mais à
quoi bon ? Quand bien même ce couteau aurait été une épée et Merthin un
vaillant chevalier, toute tentative serait demeurée inutile.
Mère Cécilia s’avança vers elle et la prit par la main.
Caris décida de s’échapper, sitôt qu’elle aurait quitté la cathédrale.
Dans le cloître, elle y parviendrait certainement.
Hélas, Godwyn déclara : « Que le sergent de ville
et un volontaire escortent cette femme jusqu’au lieu de l’examen et montent la
garde devant la porte jusqu’à ce que les sœurs aient achevé leur œuvre. »
Caris aurait pu échapper à Cécilia mais pas à deux hommes
solides.
Voyant que John regardait Marc le Tisserand, le meilleur des
hommes de sa troupe de volontaires, elle reprit espoir : Marc lui serait
loyal. Las, le sergent dut avoir la même pensée car il se tourna vers
Christophe le Forgeron.
Cécilia entraîna Caris gentiment.
Celle-ci se laissa conduire, telle une somnambule, hors de
la cathédrale. Le petit groupe sortit par le portail nord, Cécilia et Caris en
tête, suivies de sœur Mair et de la vieille Julie. John le Sergent et
Christophe le Forgeron fermaient la marche. Ils traversèrent le cloître,
pénétrèrent dans le couvent, et se dirigèrent vers le dortoir. Les deux hommes
restèrent devant la porte.
Cécilia la ferma soigneusement.
« Inutile de m’examiner, dit Caris d’une voix
vacillante. J’ai une marque.
— Nous le savons, répondit Cécilia.
— Comment cela ? s’étonna Caris.
— Nous avons procédé à ta toilette... toutes les trois,
précisa-t-elle en désignant sœur Mair et sœur Julie. Quand tu es venue à
l’hospice pour un empoisonnement, il y a deux Noël de cela. »
Si Cécilia subodorait que Caris avait avalé une potion pour
mettre un terme à sa grossesse, elle ne le montra pas. Elle continua sur ce
même ton tranquille : « Tu vomissais et tu déféquais sous toi.
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