Un Monde Sans Fin
Tu
perdais du sang aussi, et nous avons dû te laver plusieurs fois. C’est à ce
moment-là que nous avons vu ton grain de beauté. »
Le désespoir s’abattit sur Caris, telle une vague
l’emportant dans son ressac. Elle ne chercha pas à résister. Les yeux fermés,
elle marmonna si bas que sa voix n’était guère plus qu’un murmure :
« Et maintenant, vous me condamnerez à mort...
— Pas obligatoirement, dit Cécilia. Une solution sera
peut-être trouvée. »
*
Merthin était effondré. Caris était prisonnière. Elle serait
condamnée à être pendue et il n’avait aucun pouvoir de l’empêcher, quand bien
même il aurait possédé une épée, la carrure de Ralph et sa passion pour la
violence. Horrifié, il fixait la porte par laquelle l’amour de sa vie venait de
disparaître. Les religieuses ne manqueraient pas de découvrir le grain de
beauté de Caris. C’était l’endroit de son corps qu’elles examineraient le plus
attentivement.
Tout autour de lui, la foule se livrait à des commentaires
passionnés, prenant fait et cause pour ou contre Caris, revisitant tel ou tel
moment du procès. Merthin était bien incapable de suivre ce qu’ils se disaient.
Leurs paroles résonnaient à ses oreilles comme la chamade d’une centaine de
tambours.
Il se surprit à observer Godwyn. À quoi pouvait bien penser
le prieur ? Si Merthin pouvait s’expliquer les mobiles des autres
accusateurs – la jalousie dévorante d’Élisabeth, la cupidité d’Elfric, la
malveillance de Philémon –, la position de Godwyn ne laissait pas de le
mystifier. Une grande proximité avait uni les cousins dans l’enfance ;
Godwyn savait que Caris n’était pas une sorcière. Pourtant, il était prêt à
l’envoyer à la potence sans remords. Mais comment pouvait-il commettre une
telle vilenie ? Quelle excuse revendiquait-il ? Croyait-il agir pour
la gloire de Dieu ? À une certaine époque, Godwyn avait donné l’impression
d’être un homme éclairé qui tendait vers le bien, l’opposé du prieur Anthony
englué dans le conservatisme. Mais il s’était révélé pire que lui. Il
poursuivait des objectifs tout aussi surannés et se montrait bien plus
impitoyable.
Si Caris meurt, je le tuerai ! se jura Merthin.
Ses parents s’approchèrent de lui. Ils avaient assisté au
procès, eux aussi. Son père lui prononça une phrase qu’il ne comprit pas.
« Quoi ? » dit-il.
Mais à ce moment-là, le portail nord s’ouvrit et le silence
se fit. Mère Cécilia entra, seule, et referma la porte sur elle. Un murmure
parcourut la foule. Qu’allait-il se passer ?
La mère supérieure s’avança jusqu’à la cathèdre de l’évêque.
Richard dit : « Eh bien, ma mère ? Qu’avez-vous à rapporter à la
cour ecclésiastique ? »
Cécilia prononça lentement : « Caris a
confessé...» Interrompue par le grondement de la foule, Cécilia dut hausser le
ton. «... Confessé ses péchés. »
Le silence se fit. Que signifiaient les paroles de la
religieuse ? « Elle a reçu l’absolution...
— De qui ? la coupa Godwyn. Une religieuse n’est
pas habilitée à absoudre les péchés !
— Du père. »
Le curé de l’église Saint-Marc dont Merthin avait réparé le
toit. Quelqu’un qui ne portait pas le prieur Godwyn dans son cœur !
La situation, cependant, était hautement inhabituelle et
tout le monde attendait les explications de mère Cécilia.
Elle reprit : « Caris a demandé à entrer au
couvent...»
Des cris l’interrompirent à nouveau tant la nouvelle stupéfiait
l’assemblée. Cette fois, la mère supérieure dut élever la voix pour se faire
entendre : « J’ai accédé à sa demande ! »
S’ensuivit un tohu-bohu général. Godwyn s’époumonait sans
parvenir à dominer le chaos. Les traits d’Élisabeth révélaient sa rage.
Philémon fixait Cécilia avec une haine non dissimulée. Elfric était
décontenancé et l’évêque amusé. Merthin, quant à lui, tentait de considérer à
la fois toutes les conséquences découlant d’une telle décision. En premier
lieu, l’évêque l’accepterait-il ? Cela signifiait-il que l’affaire était
close et Caris définitivement arrachée au gibet ?
Le tumulte se calma peu à peu. Sitôt qu’il put se faire
entendre, Godwyn prit la parole. Il était blême de rage. « A-t-elle
confessé son hérésie, oui ou non ?
— J’ignore ce qu’elle a confessé au père, déclara mère
Cécilia,
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