Un Monde Sans Fin
prieuré du nom de
Bob.
L’habitude permit à Caris d’embrasser la situation en un
clin d’œil. Des assiettes sales traînaient à côté de chaque lit alors que
l’heure du dîner était passée depuis longtemps. « Bob ! »
s’écria-t-elle. L’interpellé bondit sur ses pieds. « Emportez ce plateau à
la cuisine, et que ça saute ! C’est un monastère, ici. La propreté est de
rigueur !
— Pardonnez-moi, ma sœur !
— Nellie, avez-vous emmené la vieille Julie aux
latrines ?
— Pas encore, ma sœur.
— Elle doit toujours y aller après le dîner. Emmenez-la
rapidement, avant qu’il n’y ait un drame. »
Nellie entreprit d’aider la vieille nonne à se mettre
debout. Caris s’efforçait d’apprendre la patience mais, après sept ans de vie
religieuse, elle n’y était toujours pas parvenue. Répéter indéfiniment les
mêmes ordres l’agaçait au plus haut point. Bob savait parfaitement qu’il devait
emporter les restes sitôt le dîner achevé ; combien de fois ne le lui avait-elle
pas dit ! Quant à Nellie, elle ne pouvait pas davantage ignorer les
besoins de Julie. Pourtant, à chacune de ses tournées, Caris les retrouvait
toujours en train de bavarder sur leur banc.
Elle ramassa une bassine utilisée pour se laver les mains et
traversa toute la pièce pour aller jeter l’eau dehors. Un homme qu’elle ne
connaissait pas se soulageait contre le mur. Ce devait être un voyageur en
quête d’un lit. « La prochaine fois, lui jeta-t-elle d’un ton cassant,
utilisez les latrines derrière l’écurie ! »
Il la regarda par en dessous, tenant son pénis dans ses
mains. « Et je peux savoir qui vous êtes ? demanda-t-il sur un ton
insolent.
— La responsable de l’hospice. Si vous voulez y passer
la nuit, vous avez intérêt à améliorer vos manières !
— Oh ! On est du genre dragon, à ce que je
vois ! » Il secouait son pénis pour faire tomber les dernières
gouttes en prenant tout son temps.
« Rangez donc votre petite chose ridicule. Si vous la
laissez à l’air, vous ne serez pas admis à demeurer en ville, et encore moins
au prieuré ! »
Caris jeta sa bassine d’eau droit sur lui. Il bondit en
arrière, la culotte trempée.
Revenue dans l’hospice, elle remplit la bassine à la
fontaine. Une canalisation souterraine apportait au prieuré une eau pure,
puisée en amont de la ville, qui alimentait les fontaines des cloîtres, les
cuisines et l’hospice. Un tuyau de dérivation, relié aux latrines, permettait
une évacuation rapide. Caris aurait souhaité faire construire de nouvelles
latrines adjacentes à l’hospice, pour que les patients tels que Julie n’aient
pas à marcher aussi loin.
L’étranger la suivit à l’intérieur. « Lavez-vous les
mains ! » lui ordonna-t-elle en lui tendant la bassine.
Il la prit, non sans marquer une légère hésitation, et se
dirigea vers à la fontaine.
Elle le regarda. Il devait avoir son âge, vingt-neuf ans.
« Comment vous appelez-vous ? lui demanda-t-elle.
— Gilbert de Hereford, je suis un pèlerin,
expliqua-t-il. Je suis venu me recueillir devant les reliques de saint Adolphe.
— Dans ce cas, vous êtes le bienvenu à l’hospice et
vous pourrez y passer la nuit, à condition d’être respectueux envers tout le
monde, à commencer par moi.
— Oui, ma sœur ! »
Caris s’en retourna dans le cloître. C’était une belle
journée de printemps ; le soleil brillait sur les vieilles pierres usées
de la cour. Dans la promenade, côté ouest, sœur Mair enseignait un nouveau
cantique aux petites filles de l’école. Caris s’arrêta pour les regarder. On
disait de sœur Mair qu’elle ressemblait à un ange. Elle avait le teint clair,
des yeux brillants et une bouche arrondie. L’école, à proprement parler, était
sous la tutelle de Caris, qui y avait elle-même été élève, voilà presque vingt
ans. Aujourd’hui, elle y enseignait de temps à autre, mais sa responsabilité
principale, outre les soins à donner aux patients, concernait les allées et
venues de toutes les personnes du monde extérieur qui pénétraient dans
l’enceinte du couvent.
Les classes comptaient dix élèves âgées de neuf à quinze
ans. Les unes étaient les filles de marchands de Kingsbridge, les autres
appartenaient à la noblesse. Le cantique, qui célébrait la bonté de Dieu,
s’acheva. Une petite fille demanda : « Sœur Mair, si Dieu est bon,
pourquoi a-t-il rappelé à
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