Un Monde Sans Fin
que ça lui
briserait le cœur. »
Merthin éclata en sanglots.
Madge poursuivit d’une voix claire mais étouffée.
« Mère Cécilia nous a laissées seules, de sorte que nous avons pu parler
franchement, sans crainte d’être entendues. Caris est persuadée que Godwyn et
Philémon ont voulu se débarrasser d’elle à cause de cette requête auprès du roi
pour que le statut de ville libre soit octroyé à Kingsbridge. Derrière les murs
de ce couvent elle se considère protégée et craint qu’on ne la tue si elle en
sort.
— Elle pourrait s’enfuir ! s’exclama Merthin. Je
l’emmènerais à Londres. Là-bas, Godwyn ne nous retrouverait pas ! »
Madge acquiesça d’un mouvement de la tête. « C’est ce
que je lui ai dit. Nous en avons discuté longuement. Elle pense que vous seriez
alors des fugitifs pour le restant de votre vie. Elle ne veut pas te condamner
à cela. Ton destin est d’être le plus grand bâtisseur de ta génération. Tu
seras célèbre. Si tu restes auprès d’elle, tu seras toujours obligé de mentir
sur ton identité et de vivre caché.
— Ça m’est égal !
— Elle était sûre que tu répondrais ça ! Elle
estime qu’au fond ça ne t’est pas égal et que ça ne doit pas le devenir, car
ton destin compte énormément pour elle. Elle ne veut t’en priver pour rien au
monde.
— Elle aurait pu m’expliquer tout ça elle-même !
— Elle a craint que tu ne parviennes à la
convaincre. »
Madge disait la vérité, Merthin n’en doutait pas. Elle
disait la vérité tout comme mère Cécilia l’avait dite avant elle : Caris
refusait bel et bien de le voir. Il déglutit péniblement, étouffé par le
chagrin. Ayant essuyé ses larmes avec sa manche, il bredouilla :
« Mais que va-t-elle devenir ?
— Elle fera en sorte de tirer le meilleur parti de
cette horrible situation et d’être une bonne religieuse.
— Mais elle déteste l’Église !
— Je sais. Elle n’a jamais montré un grand respect à
l’égard du clergé. Comment le pourrait-on dans cette ville ? Toutefois,
elle croit que soigner son prochain sera pour elle une consolation. »
Cette dernière phrase laissa Merthin pensif. Marc et Madge
le regardèrent en silence. Merthin pouvait imaginer Caris soignant les malades
à l’hospice. Mais passer la moitié de ses nuits à prier et à chanter ?
« Elle se tuera, dit-il après une longue pause.
— Je ne crois pas, le contredit Madge avec conviction.
Elle ne m’en a pas donné l’impression malgré son infinie tristesse.
— Alors elle tuera quelqu’un d’autre.
— C’est déjà plus probable.
— Enfin... il est possible qu’elle trouve une sorte de
bonheur », admit Merthin à contrecœur.
Comme Madge gardait le silence, il planta son regard dans le
sien. Comme elle hochait la tête, il comprit brusquement qu’il venait
d’exprimer une vérité terrible. Caris trouverait peut-être une sorte de
bonheur, effectivement. Elle avait perdu sa maison, sa liberté, son futur
époux, et finalement elle serait peut-être heureuse, malgré tout.
Que pouvait-on dire de plus ?
Il se leva. « Merci à tous les deux d’être mes
amis. » Sur ces mots il s’éloigna.
« Eh ! Où vas-tu ? » s’écria Marc.
Merthin se retourna et s’arrêta. Une pensée, encore
indistincte, était en train d’éclore dans son esprit. Il attendit qu’elle lui
apparaisse en toute clarté. Quand elle se révéla à lui, il en fut ébahi. Puis
il comprit immédiatement que c’était une bonne idée. Mieux que bonne, parfaite.
Essuyant ses larmes, il regarda Marc et Madge dans la
lumière rouge du soleil mourant.
« Je pars pour Florence. Adieu. »
Cinquième partie
Mars 1346-décembre 1348
43.
Sœur Caris quitta le cloître du couvent et entra d’un pas
vif dans l’hospice. Trois malades étaient allongés sur des paillasses : la
vieille Julie, désormais trop handicapée pour assister aux offices ou seulement
grimper l’escalier menant au dortoir ; Bella, la belle-fille de Dick le
Brasseur, qui se remettait d’un accouchement difficile ; et enfin, Rick
l’Argentier, un petit gars de treize ans, qui souffrait d’une fracture au bras
que Matthieu le Barbier s’était chargé de réduire. Deux autres personnes,
assises sur un banc le long du bas-côté, étaient occupées à bavarder. Il
s’agissait d’une novice appelée Nellie et d’un serviteur du
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