Un Monde Sans Fin
la pharmacie, des latrines et des
chambres particulières à l’étage supérieur, devrait tourner autour d’une
centaine de livres, ce qui correspondait à une grosse part du legs.
Caris discuta du site avec mère Cécilia. Ce terrain
n’appartenant ni aux moines ni aux religieuses, elles allèrent trouver Godwyn.
Elles le découvrirent sur les lieux de son propre édifice.
La structure du nouveau palais était achevée et le toit posé. Caris, qui
n’avait pas visité le chantier depuis plusieurs semaines, s’étonna de constater
qu’il serait aussi grand que le nouvel hospice. Elle comprit pourquoi
Buonaventura l’avait qualifié d’impressionnant. La salle de banquet était plus
vaste que le réfectoire des nonnes. Pour l’heure, le site grouillait d’ouvriers
affairés comme si Godwyn était pressé de voir la construction achevée. Les
maçons étaient en train de poser un carrelage multicolore à dessins
géométriques, des charpentiers fabriquaient des portes et un maître verrier s’activait
auprès d’un feu pour fabriquer les vitres des futures fenêtres. Godwyn ne
lésinait pas sur les dépenses.
En compagnie de Philémon, il montrait les lieux à
l’archidiacre Lloyd. Voyant les religieuses s’approcher, il se tut.
« Je vous en prie, ne vous interrompez pas pour moi.
Quand vous aurez fini, retrouvez-moi devant l’hospice. J’aimerais vous montrer
quelque chose.
— Certainement », dit Godwyn.
Caris et mère Cécilia s’en revinrent par le champ de foire.
Le vendredi, les commerçants bradaient leurs invendus pour ne pas avoir à les
remporter. Caris aperçut Marc le Tisserand, sanglé dans un manteau en écarlate
de Kingsbridge. Il avait à présent des joues rebondies et un ventre imposant.
Ses quatre enfants l’aidaient à la vente. Caris avait une affection
particulière pour Nora, âgée de quinze ans. Elle ressemblait à sa mère en plus
mince et affichait la même confiance imperturbable.
« Les affaires ont l’air de marcher ! lança Caris
en décochant à Marc un sourire chaleureux.
— C’est vous qui devriez vous pavaner car, sans vous,
le colorant n’aurait jamais été inventé. Je n’ai fait que suivre vos
instructions. Ça me laisse comme le sentiment de vous avoir grugée.
— Mais non, vous avez bien mérité d’être
récompensé ; vous vous êtes tant dévoué à la tâche ! » Pourquoi
en aurait-elle voulu à Marc et à Madge d’avoir fait fortune grâce à son
invention ? Pourquoi aurait-elle éprouvé de l’envie ou des regrets ?
Elle n’avait jamais aspiré à gagner de l’argent. Peut-être était-ce parce
qu’elle n’en avait jamais manqué. Ce qui l’intéressait, c’était de relever un
défi. Sa vie actuelle, dans un lieu d’où l’argent était banni, lui convenait
parfaitement et elle se réjouissait du fond du cœur de voir les enfants des
tisserands pétulants de santé et bien vêtus, eux qui dormaient autrefois
recroquevillés les uns contre les autres dans une pièce où le métier à tisser
occupait tout l’espace.
En compagnie de mère Cécilia, elle se rendit tout au sud du
prieuré. Avec ses petits bâtiments, son colombier, son poulailler et sa cabane
à outils, le terrain autour des étables ressemblait à une cour de ferme. Des
poulets grattaient le sol à la recherche de nourriture et des cochons
fouillaient les détritus de la cuisine. Tout ce laisser-aller agaçait Caris,
qui aurait bien voulu y remédier.
Godwyn et Philémon les rejoignirent bientôt, accompagnés de
l’archidiacre. Mère Cécilia désigna le terrain adjacent aux cuisines et
dit : « J’ai l’intention de construire un nouvel hospice, et je
voudrais le faire ici. Qu’en pensez-vous ?
— Un nouvel hospice ? s’exclama Godwyn. Mais
pourquoi ? »
Caris le trouva curieusement anxieux.
Cécilia expliquait : « Nous voulons avoir un
hospice réservé aux malades et une maison d’hôtes séparée, pour recevoir les
visiteurs bien-portants.
— En voilà une idée qui sort de l’ordinaire !
— Elle nous est venue suite à cette soudaine épidémie
qui, rappelez-vous, a commencé avec Maldwyn le Cuisinier. La maladie avait un
caractère particulièrement virulent, c’est un bon exemple de ce qui peut se
produire. Vous noterez que les maladies débutent souvent pendant les foires. La
raison pour laquelle elles se répandent si vite est peut-être due au fait que
malades et bien-portants mangent et dorment ensemble et
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