Un Monde Sans Fin
qu’elle souhaitait le rencontrer plus
tard, mais elle ne fut pas certaine qu’il ait reçu le message.
Elle se rendit néanmoins à l’hospice, le seul endroit du
prieuré où une religieuse pouvait rencontrer un laïc. Buonaventura ne se fit
pas attendre. À son habitude, il portait un manteau de prix, de couleur bleue,
et des souliers pointus. « La dernière fois que je vous ai vue, dit-il,
vous veniez d’être consacrée religieuse par l’archevêque Richard.
— À présent, j’ai prononcé mes vœux.
— Mes félicitations ! Je n’aurais jamais imaginé
que vous vous adapteriez si facilement à la vie conventuelle.
— Moi non plus ! dit-elle en riant.
— Le prieuré a l’air prospère.
— Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?
— Godwyn fait construire un palais, paraît-il.
— En effet.
— J’en conclus que ses affaires vont bien.
— Je suppose. Et vous, comment vont les vôtres ?
— Nous rencontrons des difficultés de transport en
raison de la guerre entre la France et l’Angleterre. Et le roi Édouard, avec
ses taxes, ne facilite pas le commerce. La laine d’ici est plus chère que celle
d’Espagne, mais il faut reconnaître qu’elle est de meilleure qualité. »
De tout temps, les gens se plaignaient des taxes. L’ayant
écouté, Caris aborda le sujet qui l’intéressait. « Vous avez des nouvelles
de Merthin ?
— Oui, justement, répondit Buonaventura, et Caris
perçut dans sa réponse comme une hésitation par-delà son affabilité. Il s’est
marié. »
La nouvelle produisit sur Caris l’effet d’un coup de poing
au ventre. Elle ne s’y attendait pas, elle n’avait même jamais imaginé que cela
puisse arriver un jour. Comment Merthin avait-il pu s’y résoudre ? Il
était... Ils étaient...
Naturellement, il n’y avait pas de raison pour qu’il ne se
marie pas. Elle l’avait repoussé à tant de reprises. Et son dernier refus était
bien sans appel puisqu’elle l’avait exprimé en entrant au couvent. Elle ne
pouvait que s’étonner qu’il ait attendu si longtemps pour se marier. Elle
n’avait pas le droit de se sentir blessée.
Elle se força à sourire. « C’est merveilleux.
Transmettez-lui mes félicitations. Qui a-t-il épousée ? »
Buonaventura feignit de ne pas remarquer son émoi.
« Une dame du nom de Sylvia, dit-il sur le ton léger qu’il aurait pris
pour rapporter des ragots. C’est la fille cadette d’Alessandro Christi, l’un
des notables les plus estimés de la ville. Il fait commerce d’épices orientales
et possède plusieurs navires.
— Son âge ?
— Alessandro ? demanda-t-il avec un sourire. Le
même que moi, j’imagine...
— Ne me taquinez pas ! riposta-t-elle en se
forçant à rire car, au fond d’elle-même, elle était reconnaissante à
Buonaventura de vouloir alléger l’atmosphère par une plaisanterie. Je veux
parler de Sylvia.
— Vingt-trois ans.
— Six de moins que moi.
— Une jolie fille...
— Jolie mais quoi... ? » insista Caris, qui
avait cru percevoir un sous-entendu dans le ton de Buonaventura.
L’Italien pencha la tête sur le côté comme s’il présentait
une excuse : « Elle a la réputation d’avoir la langue bien pendue.
Naturellement, les gens racontent toutes sortes de choses, mais cela explique
peut-être qu’elle soit restée demoiselle si longtemps. À Florence, les filles
se marient d’habitude avant l’âge de dix-huit ans.
— Oh, c’est sûrement vrai, dit Caris. En dehors de moi,
Merthin n’aimait qu’une fille à Kingsbridge, Élisabeth Leclerc, et c’est une
langue de vipère comme moi. »
Buonaventura se mit à rire. « Mais non, mais non !
— Quand a eu lieu le mariage ?
— Il Y a deux ans. Peu après que nous nous sommes vus
l’autre fois à la foire. »
Caris comprit soudain que Merthin était resté célibataire
jusqu’à ce qu’elle prononce ses vœux perpétuels, probablement jusqu’à ce que
Buonaventura lui apprenne qu’elle avait accompli le pas ultime. Elle l’imagina
en terre étrangère, noyé dans l’espoir et l’attente pendant plus de quatre ans.
Sa fragile façade de gaieté commença à se craqueler.
Buonaventura reprit : « Ils ont eu une petite
fille. Elle s’appelle Lolla. »
C’en était trop. Le chagrin qu’elle avait ressenti sept ans
plus tôt, cette peine qu’elle croyait passée à tout jamais, lui revint d’un
coup, plus fort encore. Et elle prenait soudain
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