Un Monde Sans Fin
maintenant ? »
Gwenda se mit à pleurer sans bruit.
« Et la petite ? » dit le plus jeune.
Ils allaient la tuer, c’était sûr et certain !
Terrifiée, Gwenda ne voyait plus rien à travers ses larmes et elle sanglotait
tant qu’elle ne parvenait pas à les supplier de lui laisser la vie sauve. Elle
allait mourir et elle irait en enfer.
« Qu’elle file ! ajouta encore le chef. Je ne suis
pas venu sur terre pour tuer les enfants. »
Son compagnon lâcha Gwenda et lui donna une poussée dans le
dos. Elle trébucha et s’étala par terre. S’étant relevée, elle s’essuya les
yeux pour voir devant elle et partit d’un pas chancelant.
« Cours ! lui lança le soldat. C’est ton jour de
chance ! »
*
Caris n’arrivait pas à s’endormir. Elle sortit de son lit
pour gagner la chambre de sa mère. Son père, assis sur un siège bas, regardait
fixement la silhouette immobile de sa femme étendue sur sa couche.
Elle avait les yeux fermés. Son visage, couvert de sueur,
luisait dans la lumière des chandelles. Elle respirait à peine. Caris saisit sa
main, qui était toute blanche et d’un froid terrifiant. Elle tenta de la
réchauffer entre les siennes.
« Pourquoi est-ce qu’on lui prend son sang ?
demanda-t-elle.
— On considère parfois que la maladie vient d’une
humeur présente en trop grande quantité dans le corps. On espère la faire
diminuer en retirant du sang.
— Ça ne lui a pas fait de bien.
— Non. Son état semble même avoir empiré.
— Pourquoi les avez-vous laissés faire, alors ?
répliqua Caris, les yeux remplis de larmes.
— Les prêtres et les moines ont étudié les traités de
l’Antiquité. Ils en savent bien plus que nous.
— Je n’y crois pas.
— C’est difficile de savoir ce qu’il faut croire ou
pas, Bouton d’Or.
— Si j’étais médecin, je ferais seulement les choses
qui améliorent la santé des gens. »
Mais son père ne l’écoutait pas. Son regard était devenu
plus attentif. Se penchant sur la malade, il glissa sa grande main sous la
couverture et la posa sur sa poitrine, juste en dessous du sein gauche. Caris
distingua ses doigts sous la fine couverture. Un petit cri étouffé jaillit des
lèvres de son père. Il déplaça sa main et appuya plus fermement pendant
quelques instants sans bouger.
Puis ses yeux se fermèrent et il se laissa tomber lentement
à genoux au pied du lit dans une attitude de prière, la main toujours posée sur
la poitrine de sa femme, la tête enfouie dans la courtepointe, contre ses
jambes.
Il pleurait.
Caris s’en rendit compte brusquement. Cette découverte
l’effraya plus que tout au monde – bien plus que la scène dans la forêt. Car
tout le monde pleurait, les enfants, les femmes, les gens qui n’avaient plus de
forces ou qui étaient abandonnés. Mais son père, lui, ne pleurait jamais. Elle
crut que le monde s’écroulait.
Il fallait aller chercher de l’aide. Elle écarta ses doigts.
La main froide de sa mère glissa sur la couverture et y demeura, immobile.
Caris courut dans sa chambre. Secouant sa sœur aînée par l’épaule, elle
chuchota : « Alice ! Réveille-toi ! »
Mais celle-ci n’ouvrait pas les yeux.
« Papa pleure ! » insista Caris.
Alice se redressa sur son séant. « C’est
impossible !
— Viens, je te dis ! »
Alice se leva. La prenant par la main, Caris l’entraîna dans
la chambre de leur mère. Le père s’était relevé. Les joues baignées de larmes,
il contemplait le visage de sa femme immobile sur l’oreiller. Alice, sidérée,
le regardait sans pouvoir détourner les yeux.
« Qu’est-ce que je te disais ? » chuchota
Caris. Tante Pétronille se tenait de l’autre côté du lit.
Apercevant ses filles sur le pas de la porte, le père quitta
sa place pour s’avancer vers elles. Les entourant de ses bras, il les attira
contre lui. « Votre maman est allée rejoindre les anges, dit-il doucement.
Priez pour son âme.
— Ayez du courage, mes filles, intervint Pétronille. À
partir de maintenant, je serai votre maman. »
Caris essuya ses joues inondées de larmes. Relevant les yeux
sur sa tante, elle s’écria : « Oh, vous ne la remplacerez
jamais ! »
Deuxième partie
8-14 juin 1337
6.
L’année où Merthin eut vingt et un ans, la pluie tomba sans
discontinuer toute la journée du dimanche de la Pentecôte.
L’eau rebondissait sur le toit
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