Un Monde Sans Fin
prince et parvint à introduire
son épée sous son bras, à l’endroit précis où les deux parties de son armure se
rejoignaient. Avec quel plaisir il sentit la pointe de son arme entailler la
chair du Français et vit le sang jaillir de la blessure.
Un guerrier s’était jeté à califourchon sur le prince tombé
à terre et le protégeait en balançant son épée, déterminé à empêcher quiconque,
homme et cheval, d’approcher de son maître. Ralph reconnut en lui Richard
Fitzsimon, le porte-étendard du prince. Il avait laissé choir son drapeau,
dissimulant ainsi le prince aux yeux de l’ennemi. Ralph se battit comme un lion
à ses côtés, sans même savoir si le fils du roi était mort ou vivant.
Des renforts arrivèrent. Le comte d’Arundel apparut à la
tête de nouvelles troupes. Ces hommes, nombreux et reposés, se lancèrent dans
la mêlée avec ardeur et surent inverser la situation. Les Français commencèrent
à reculer.
Le prince de Galles se redressa sur les genoux. Ralph leva
son heaume et l’aida à se mettre debout. Il avait été touché mais sa blessure
ne semblait pas être grave. Ralph se retourna pour reprendre le combat.
Les Français se dispersaient. Leur courage suppléant à leur
folie, ils étaient presque parvenus à briser les lignes anglaises, mais
n’avaient pas réussi à les mettre en déroute et, maintenant, c’étaient eux qui
fuyaient pour rejoindre leurs lignes, se livrant aux flèches des archers. Il en
tomba un grand nombre tandis qu’ils dévalaient la pente couverte de sang. Un
cri de joie monta des forces anglaises, épuisées mais radieuses.
Une fois de plus, les Gallois envahirent le champ de
bataille, tranchant la gorge aux blessés et ramassant des milliers de flèches.
Les archers récoltèrent aussi les tiges, pour renouveler leurs munitions. Des
cantonniers apparurent de l’arrière, avec des jarres de bière et de vin, et les
chirurgiens se précipitèrent pour soigner les nobles blessés.
Ralph vit William de Caster penché sur son père. Le comte
Roland respirait encore, mais il avait les yeux fermés et il semblait bien près
de mourir.
Ralph essuya dans l’herbe le sang de son épée et releva sa
visière pour boire une chope de bière. Le prince de Galles s’avança vers lui.
« Comment t’appelles-tu ?
— Ralph Fitzgerald, de Wigleigh, mon seigneur.
— Tu t’es battu bravement. Demain, tu seras sieur Ralph
si le roi daigne m’écouter. »
Ralph eut un sourire resplendissant. « Je vous
remercie, mon seigneur. » Le prince lui décocha un gracieux signe de tête
et poursuivit son chemin.
50.
Caris assista au début des combats depuis l’autre côté de la
vallée. Elle vit les Génois tenter de fuir et être réduits en pièces par les
chevaliers de leur propre camp ; elle vit la première grande charge durant
laquelle des hommes portant les couleurs du comte d’Alençon menèrent à la
bataille des milliers de chevaliers et d’hommes en armes ; elle vit
ensuite ces mêmes chevaliers tomber par centaines sous les flèches anglaises et
être aussitôt piétinés par leurs énormes destriers.
Elle ne connaissait rien à la guerre, ce spectacle la rendit
malade. Elle était trop loin pour bien comprendre la nature de ces combats au
corps à corps, mais toutes ces épées qui jetaient des éclats et tous ces hommes
qui s’écroulaient à terre lui donnaient envie de pleurer. À l’hospice de
Kingsbridge, elle avait été souvent appelée à soigner des hommes tombés
d’échafaudages très hauts, blessés à la chasse ou en maniant un outil. Chaque
fois, la vue d’une jambe cassée, d’une main écrasée, d’un cerveau endommagé la
plongeait dans une grande tristesse et elle gardait au fond du cœur un
sentiment de gaspillage irréparable. Aujourd’hui, face à ces hommes qui
s’infligeaient mutuellement d’aussi terribles blessures, elle était prise de
révolte.
Si elle avait entendu parler de cette bataille en
Angleterre, elle aurait souhaité de toute son âme que les Anglais remportent la
victoire. Se trouvant en France, elle n’éprouvait plus qu’une sorte de
neutralité dégoûtée après toutes les horreurs qu’elle avait vues au cours des
deux dernières semaines. Comment s’identifier à ces Anglais qui assassinaient
les paysans et brûlaient leurs récoltes ? Le fait qu’ils commettent ces
atrocités en terre étrangère ne changeait rien à l’affaire. Bien sûr, ils
affirmeraient la
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