Un Monde Sans Fin
regroupée la famille
d’Elfric : sa fille Griselda, que Merthin avait refusé d’épouser,
accompagnée de son fils âgé maintenant de dix ans qu’elle s’était obstinée à
prénommer Merthin et, enfin, Harold Masson, l’homme qu’elle avait épousé quand
elle avait fini par admettre que le Merthin adulte ne la prendrait jamais pour
femme. À côté d’elle se tenait son père, flanqué de sa seconde épouse, Alice,
sœur de Caris et donc sa cousine. Elfric ne cessait de lever les yeux vers le
plafond provisoire qu’il avait installé au-dessus de la croisée du transept, le
temps de démolir la tour, admirant son ouvrage ou peut-être s’inquiétant
d’éventuelles conséquences.
L’évêque de Shiring, Henri de Mons, brillait par son
absence. En général, c’était lui qui prononçait les homélies pendant l’Avent.
Mais il n’était pas venu. Tant de prêtres étaient décédés qu’il passait son
temps à visiter les paroisses pour leur trouver des remplaçants. On parlait
déjà de simplifier les conditions d’admission au grand séminaire et d’ordonner
prêtres des hommes qui n’avaient pas vingt-cinq ans ou qui étaient issus
d’unions illégitimes.
Godwyn fit un pas en avant pour prononcer son sermon. La
tâche était délicate. Il devait à la fois éveiller la peur des fidèles et
exciter leur haine envers la personne qu’ils aimaient entre toutes à
Kingsbridge. Et il devait le faire sans mentionner son nom. Sans même laisser
croire qu’il lui était hostile. Lorsque les fidèles retourneraient leur fureur
contre elle, ils devraient être convaincus d’agir par eux-mêmes, et en aucun
cas se sentir l’objet d’une manipulation.
Les offices religieux ne s’accompagnaient pas toujours d’un
sermon. Les homélies étaient réservées aux cérémonies solennelles auxquelles
assistait une foule imposante. Et même en ces occasions, Godwyn se contentait
souvent de proclamer les annonces requises, c’est-à-dire les messages émanant
de l’archevêque ou du roi et concernant des événements de portée nationale : une
victoire militaire, un nouvel impôt, une naissance ou un décès au sein de la
famille royale. Aujourd’hui, la situation était particulière.
« Qu’est-ce que la maladie ? » lança-t-il
dans un silence remarquable qui s’amplifia jusqu’à devenir
absolu : cette question était celle que tout le monde avait à
l’esprit.
« Pourquoi Dieu nous envoie-t-il des maladies et des
fléaux qui nous tourmentent et nous tuent ? »
Surprenant le regard de sa mère, debout derrière Elfric et
Alice, il se rappela brutalement sa phrase sur sa mort prochaine et fut soudain
paralysé de terreur. L’assemblée se mit à se balancer d’un pied sur l’autre,
attendant la suite du sermon. La panique s’empara de lui, une panique qui ne
fit que le paralyser davantage. Aucun son ne sortait de ses lèvres !
Ce moment passé, il reprit : « La maladie est la
punition que Dieu nous inflige pour nos péchés ! »
Au fil des années, il avait mis au point une façon bien à
lui de délivrer ses prêches. Il ne hurlait pas, comme frère Murdo ; il
s’exprimait sur le ton de la conversation, ce qui le faisait passer pour un
homme raisonnable plutôt que pour un démagogue. En l’occurrence, il craignait
que cette méthode ne soit pas la plus efficace pour engendrer la haine, mais
Philémon l’avait persuadé que, au contraire, elle rendrait son propos plus
convaincant.
« La peste étant une maladie très particulière, nous
pouvons en déduire que Dieu nous inflige un châtiment tout à fait
particulier. »
Un bruit entre murmure et gémissement accueillit ses
paroles, C’était exactement la réaction qu’il avait espérée. Il en fut
ragaillardi.
« Nous devons donc nous demander quels péchés nous
avons commis pour mériter pareille punition. »
Tout en prononçant ces mots, il reconnut Madge la
Tisserande, seule dans la foule. La dernière fois qu’elle était venue à
l’église, elle avait un mari et quatre enfants. Il fut tenté de dire qu’elle
s’était enrichie grâce à l’utilisation de colorants inventés par sorcellerie,
mais il se ravisa. Madge était trop aimée et respectée.
« Je vous le dis : Dieu nous punit tous pour
hérésie. Il y a des gens de par le monde – et même dans notre ville, dans notre
grande cathédrale aujourd’hui – qui remettent en question l’autorité de la
sainte Église de Dieu et de
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