Un Monde Sans Fin
urines. Une fièvre cérébrale fut
diagnostiquée et il dut subir une saignée.
Le dernier jour de décembre, un Philémon apeuré lui apporta
la nouvelle que sa mère n’était plus.
Godwyn se leva : il se fit raser, se changea et se
rendit à l’hospice.
Les religieuses avaient préparé le corps pour la cérémonie.
Pétronille avait été lavée et revêtue d’une robe coupée dans un tissu italien
de qualité. Ses cheveux avaient été brossés. La voyant ainsi parée, le visage
blême et les yeux fermés à jamais, un nouvel accès de panique le submergea. Il
sut y résister. « Emmenez le corps dans la cathédrale »,
ordonna-t-il, bien que l’honneur d’être étendu dans le chœur soit réservé en
principe aux moines, aux religieuses, aux prélats de haut rang et à la noblesse.
Mais personne ne se permettrait de contester sa décision, il le savait.
Transportée dans la cathédrale, Pétronille fut placée devant
l’autel. Godwyn s’agenouilla auprès d’elle et pria. La prière l’aida à dominer
sa frayeur. Peu à peu, une idée se fit jour en lui et il sut ce qui lui restait
à faire. Quand il se releva, il donna à Philémon l’instruction de rassembler
sur-le-champ le chapitre. Il chancelait.
Pour parvenir à ses fins, il devait se reprendre. Il avait
toujours eu le don de la persuasion. Il allait en user sur-le-champ.
Les moines rassemblés, il leur lut un passage de la Genèse.
« Et il advint après cela que Dieu tenta Abraham, lui disant :
« Regarde, Abraham, regarde, je suis ici, et il dit : Prends ton fils
maintenant, ton fils unique Isaac, que tu aimes, et va dans sur la terre des
Moriah. Et offre-le au Seigneur sur un bûcher dressé sur l’une des montagnes
que je t’indiquerai. Et Abraham se leva tôt le lendemain, sella son âne et le
chargea de bois pour l’holocauste et il grimpa la montagne et il pénétra dans
la terre des Moriah, comme Dieu le lui avait prescrit. »
Godwyn releva la tête. Les moines avaient les yeux braqués
sur lui. Ils connaissaient tous l’histoire d’Abraham et Isaac ; ce qui les
intéressait, c’était lui, Godwyn. Ils attendaient, inquiets, se demandant ce
qui allait suivre ; « Que nous enseigne l’histoire d’Abraham et
Isaac ? lança-t-il en manière d’introduction rhétorique. Dieu ordonne à
Abraham de tuer son fils, lequel n’est pas seulement pour lui un fils aîné, mais
un fils unique, né alors qu’il avait lui-même déjà cent ans. Comment réagit
Abraham ? Proteste-t-il ? Implore-t-il la pitié du Seigneur ?
Cherche-t-il à discuter son ordre ? Fait-il remarquer que tuer Isaac, ce
serait commettre un meurtre, un infanticide, un terrible péché ? »
Godwyn laissa la question en suspens pendant un moment et s’en revint au livre.
Il lut : « Et Abraham se leva de bon matin, et sella son âne. »
Godwyn releva les yeux à nouveau. « Dieu peut vouloir
nous tenter aussi. Nous ordonner de commettre des actes apparemment néfastes.
Peut-être même nous ordonnera-t-il d’accomplir une chose qui peut sembler un
péché. Quand cela se produira, nous devrons nous souvenir d’Abraham. »
Godwyn s’exprimait dans un style dont ses prêches avaient
été maintes fois prouvé l’efficacité, usant d’un rythme à la fois balancé et
dénué de fioritures. Au silence qui régnait dans la pièce octogonale du
chapitre, à l’absence de bruit et de mouvements, il comprit qu’il avait capté
l’attention de son auditoire.
« Nous ne devons pas mettre en question la parole de
Dieu ! Nous ne devons pas la discuter. Quand le Seigneur nous indique la
voie à suivre, nous devons respecter ses volontés, quand bien même elles
semblent insensées, pécheresses ou cruelles à nos pauvres esprits humains. Car
c’est nous qui le sommes, faibles et insensés, et notre compréhension des
choses n’est que partielle. Il ne nous appartient pas de faire des choix ou de
prendre des décisions. Notre devoir est simple : il consiste à
obéir. »
Il leur dit alors ce qu’il attendait d’eux.
*
L’évêque arriva à Kingsbridge bien après la tombée de la
nuit au terme d’une chevauchée effectuée à la lumière des torches. Il était
presque minuit quand son équipage franchit l’enceinte du prieuré. La plupart
des personnes y résidant étaient couchées depuis des heures. Un groupe de
religieuses s’affairait à l’hospice. L’une d’elles vint réveiller Caris.
« L’évêque est là, dit
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