Un Monde Sans Fin
nos
métayers morts de la peste. Il serait difficile de rester sans prieure plus
longtemps. »
Son intervention fut soutenue par sœur Élaine, qui pourtant
était une fidèle d’Élisabeth. « Je déteste les élections, dit-elle, car
elles aboutissent à nous dresser les unes contre les autres. »
Elle s’interrompit pour éternuer et reprit :
« Puis la rancune s’en mêle. Dans la situation présente, je voudrais me
débarrasser de celle-ci au plus vite pour que nous nous retrouvions unies face
à cette horrible épidémie. »
Une acclamation lui répondit.
Et comme Élisabeth lui jetait un regard furieux, elle
conclut : « Vous voyez bien, je ne peux même pas faire une objection
pacifique sans qu’Élisabeth me regarde comme si je l’avais trahie ! »
L’interpellée baissa les yeux.
« Eh bien, votons ! dit Margaret. Que celles qui
sont pour Élisabeth disent : « Oui » ! »
Pendant un moment, personne n’émit un son, puis Jeannie
chuchota « Oui ».
Caris attendit que d’autres voix s’expriment, mais Jeannie
fut la seule.
Caris sentit son cœur se mettre à battre plus vite.
Allait-elle l’emporter, malgré tout ?
« Qui est pour Caris ? » s’enquit Margaret.
Un chœur de « Oui » retentit dans l’instant. À
croire que la communauté tout entière avait voté pour elle. Ça y est !
pensa-t-elle. Je suis prieure ! Maintenant, les choses peuvent vraiment
commencer.
« Dans ce cas...», prononçait Margaret, quand une voix
d’homme retentit : « Attendez ! »
Plusieurs religieuses laissèrent échapper un cri apeuré,
l’une d’elles alla même jusqu’à hurler de frayeur. Philémon se tenait dans
l’embrasure de la porte. Il avait dû suivre le déroulement du vote, tapi
derrière le battant, se dit Caris.
« Avant que vous n’alliez plus loin...», commença-t-il.
Mais Caris ne l’entendait pas de cette oreille. Se levant,
elle l’interrompit : « Comment osez-vous entrer dans un couvent sans
permission ? lança-t-elle. Sortez immédiatement. Vous n’êtes pas le
bienvenu chez nous !
— Je suis envoyé par le seigneur prieur.
— Il n’a aucun droit...
— Il est la haute autorité religieuse de Kingsbridge, la
coupa Philémon. En l’absence de prieure, ou de sous-prieure, il a autorité sur
les religieuses.
— Nous ne sommes plus sans prieure, frère Philémon,
déclara Caris en marchant sur lui. Je viens juste d’être élue. »
Les sœurs, qui détestaient Philémon, applaudirent
joyeusement.
« Le père Godwyn n’a pas autorisé cette élection.
— C’est trop tard. Faites-lui savoir que mère Caris est
maintenant à la tête du couvent et qu’elle vous a flanqué à la porte. »
Philémon recula : « Tant que l’élection n’a pas
été ratifiée par l’évêque, vous n’êtes rien !
— Dehors ! » cria Caris.
Et toute la communauté reprit en chœur :
« Dehors ! Dehors ! Dehors ! »
Philémon en fut intimidé. Il n’avait pas l’habitude de se
voir contredit. Comme elle faisait encore un pas, il recula, surpris, mais
aussi effrayé par la situation. Les cris allaient s’amplifiant. Subitement, il
pivota sur ses talons et prit ses jambes à son cou.
Les religieuses saluèrent sa fuite par des rires joyeux.
Néanmoins, la remarque de Philémon était vraie : l’élection de Caris
devait être ratifiée par l’évêque. Et, à l’évidence, Godwyn ferait tout ce qui
était en son pouvoir pour qu’elle ne le soit pas.
*
Une équipe de volontaires recrutés parmi les habitants de la
ville avait défriché une acre de forêt sur l’autre rive de la rivière en vue
d’y établir un nouveau cimetière. En effet, tous ceux situés à l’intérieur des
murs de la ville étaient pleins et celui de la cathédrale le serait bientôt.
Suivi des moines et des religieuses psalmodiant des prières,
Godwyn arpentait le terrain d’un bout à l’autre, armé d’un goupillon. Dans le
vent glacé, les gouttes d’eau bénite se transformaient en glaçons avant même
d’atteindre le sol. Bien que la cérémonie ne soit pas achevée, les fossoyeurs
étaient déjà à l’œuvre. Des monticules de terre s’alignaient soigneusement près
des trous rectangulaires creusés le plus près possible les uns des autres pour
ne pas perdre de place. Hélas, il apparaissait d’ores et déjà qu’une acre ne
suffirait pas. D’ailleurs, non loin de là, des hommes commençaient à
débroussailler
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