Un Monde Sans Fin
d’intervenir Caris, car elle ne voulait pas laisser
l’évêque repartir sans que cette question n’ait été résolue.
— Bien sûr, dit-il d’un air irrité.
— Dans ce cas, avant que d’accepter cet honneur...
— Vous n’avez pas voix au chapitre, mère prieure !
Répliqua t-il avec colère. Il est de votre devoir de m’obéir ! »
Mais Caris avait une promesse autrement plus importante à
arracher à l’évêque. Sachant qu’elle jouait gros, elle prétendit ne pas être
véritablement intéressée par sa nomination. « Nous vivons une époque
étrange, n’est-ce pas ? Les religieuses sont autorisées à confesser ;
la préparation à la prêtrise est écourtée et, pourtant, il vous est très
difficile, à ce que l’on raconte, de trouver assez de prêtres pour remplacer
tous ceux qui ont disparu, emportés par la peste.
— Auriez-vous l’intention de profiter des difficultés
que traverse l’Église pour satisfaire des intérêts personnels ?
— Non, mais il y a une chose que vous devez faire, si
vous voulez que je puisse exécuter vos ordres. »
Henri soupira, visiblement fâché de se voir admonesté de la
sorte. Mais, comme Caris le soupçonnait, il avait davantage besoin d’elle
qu’elle-même avait besoin de lui. « Très bien, de quoi s’agit-il ?
— Je veux que vous convoquiez la réunion d’une cour
ecclésiastique pour procéder au réexamen de mon procès en sorcellerie.
— Dieu du ciel, et pourquoi cela ?
— Pour proclamer mon innocence, naturellement. Tant que
cela ne sera pas fait, il me sera difficile d’exercer une quelconque autorité.
À chaque désaccord, n’importe qui alléguera de ma condamnation pour saper mon
autorité. »
Homme à l’esprit bien ordonné, l’archidiacre apprécia la
proposition à sa juste valeur. « Il serait bon en effet que cette affaire
soit classée une fois pour toutes, Votre Éminence.
— Alors, c’est entendu, dit Henri.
— Merci. »
Une bouffée de plaisir et de soulagement inonda Caris. Elle
inclina la tête de peur que son visage ne trahisse son bonheur.
« Je mettrai tout en œuvre pour être digne de l’honneur
qui m’est fait.
— Ne perdez pas de temps et recherchez Godwyn.
J’aimerais obtenir certaines réponses avant de quitter la ville.
— Je vais aller trouver le prévôt des marchands. Il est
à la solde de Godwyn. Si quelqu’un sait où les moines sont allés, ce sera lui.
— Faites-le immédiatement, je vous prie ! »
Caris prit congé. À défaut d’être aimable, l’évêque Henri
semblait compétent ; travailler sous sa tutelle ne serait pas une tâche
impossible. Qui sait, il était peut-être de ces gens qui prennent leurs
décisions en se fondant sur la justesse du cas sans soutenir systématiquement
ceux qu’ils croient être leurs alliés. Si tel était le cas, le changement
serait notoire.
En passant devant l’auberge de La Cloche, elle fut tentée
d’y entrer pour annoncer la nouvelle à Merthin. Elle se ravisa. Mieux valait
trouver d’abord Elfric.
Sur le trottoir devant la taverne du Buisson, elle aperçut
Duncan le Teinturier, affalé par terre. Assise sur le banc dehors, sa femme
Winnie pleurait à gros sanglots. Caris crut que son mari était blessé ;
Winnie lui apprit qu’il était seulement ivre.
« L’heure du dîner n’a même pas sonné ! réagit
Caris, interloquée.
— Son oncle Pierre le Teinturier est mort de la peste,
ainsi que sa femme et ses enfants. Duncan a hérité de toute sa fortune et l’a
bue jusqu’au dernier sou. Je ne sais plus que faire.
— Ramenons-le chez lui, dit Caris. Je vais t’aider à le
soulever. » Le prenant chacune par un bras, elles le remirent sur pied et
le tirèrent jusqu’à sa maison, le soutenant pour qu’il ne s’écroule pas. Puis
elles l’étendirent par terre et le recouvrirent d’une couverture. « Il se
saoule comme ça tous les jours, expliqua Winnie. Il dit que ça ne vaut plus la
peine de travailler puisqu’on va tous mourir. Que dois-je faire ? »
Caris réfléchit un instant. « Enterre ton argent dans
le jardin pendant qu’il dort. Quand il se réveillera, dis-lui qu’il a tout
perdu au jeu avec un homme qui a quitté la ville.
— Oui, c’est une idée », dit Winnie.
Caris traversa la rue pour entrer chez Elfric. Sa sœur Alice
était à la cuisine en train de coudre des chausses. Leurs relations avaient
commencé à se dégrader quand Alice avait
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