Un Monde Sans Fin
gardées à part.
« Quelle heure était-il ? demanda-t-elle.
— Pas très tard, neuf ou dix heures.
— Vous leur avez parlé ?
— Je leur ai juste souhaité bonne nuit.
— Vous avez une idée de la direction qu’ils ont
prise ? »
Le paveur secoua la tête. « Ils ont traversé le pont,
mais arrivés à la croisée au Gibet, je n’ai pas vu sur quel chemin ils
s’engageaient. »
Caris se tourna vers Elfric. « Essaie de te souvenir de
ce qui s’est passé au cours des derniers jours. Godwyn t’a-t-il dit quelque
chose ? A-t-il laissé échapper un indice, un nom de lieu qui pourrait nous
apprendre où il est allé ? Monmouth, York, Anvers, Brême ?
— Non, il ne m’a pas prévenu de son départ »,
répondit Elfric et son mécontentement incita Caris à penser qu’il disait vrai.
Si le prévôt n’était pas au courant des projets de Godwyn,
il était peu probable que quelqu’un d’autre le soit. Godwyn fuyait la
peste ; il ne voulait pas être suivi de peur d’être rattrapé par la
maladie. « Partir de bonne heure, parcourir un long trajet et ne pas
revenir avant longtemps », comme l’avait dit Merthin l’autre jour. Oui,
Godwyn pouvait être allé n’importe où.
« Si tu apprends quoi que ce soit le concernant, lui ou
l’un des moines, fais-le-moi savoir aussitôt ! » dit Caris.
Elfric ne répondit pas.
Élevant la voix de manière à être entendue de tous les
ouvriers présents, elle ajouta : « Godwyn a dérobé tous les objets
précieux de la cathédrale ! » Un murmure d’indignation accueillit ses
paroles. La population tout entière se sentait propriétaire de ces ornements,
achetés, pour certains, grâce aux contributions des membres les plus riches de
la guilde. « L’évêque tient à les retrouver. Quiconque soutiendra Godwyn,
ne serait-ce qu’en taisant le lieu où il se trouve actuellement, se rendra
coupable de sacrilège. »
Manifestement, Elfric était stupéfié. Sa vie entière, il
s’était attaché à rechercher les faveurs de Godwyn. Et voilà que le prieur
s’était enfui ! « Il y a peut-être une explication parfaitement innocente
à son départ.
— S’il Y en a une, pourquoi ne l’a-t-il confiée à
personne ?
Ou n’a-t-il pas laissé une lettre derrière lui ? »
Elfric ne sut que répondre.
Comprenant qu’il était indispensable de prévenir les
notables, Caris demanda à Elfric de convoquer de toute urgence une réunion de
la guilde. Pour donner plus de poids à sa demande, elle précisa :
« L’évêque veut qu’elle se réunisse aujourd’hui même, après le dîner.
Informe les membres !
— Très bien », dit Elfric.
Caris ne douta pas un instant qu’ils viendraient tous,
poussés par la curiosité.
Elle rentra au prieuré. En passant devant la taverne du
Cheval blanc, elle surprit une jeune fille en grande conversation avec un homme
plus âgé. Quelque chose dans leur comportement la força à s’arrêter. La
question des jeunes filles et de leur vulnérabilité lui tenait très à cœur,
soit qu’elle se souvienne de l’adolescente qu’elle avait été, soit qu’elle
déplore de ne pas avoir donné naissance à la petite fille qu’elle avait
attendue. Dissimulée dans le renfoncement d’une porte, elle observa le couple
avec une réprobation croissante.
L’homme arborait une coûteuse toque de fourrure qui ne
correspondait pas à sa pauvre tenue d’ouvrier agricole. Il en avait
probablement hérité récemment. Tant de gens étaient morts qu’un grand nombre de
beaux atours passaient de main en main et il n’était pas rare de tomber sur des
gens portant des accoutrements inattendus. La fille, jolie, devait avoir dans
les quatorze ans. Son corps n’était pas encore celui d’une femme, mais elle
s’essayait déjà à la coquetterie. Sans grand succès d’ailleurs. L’homme sortit
de l’argent de sa bourse. La conversation se poursuivit et l’homme se mit à
caresser les petits seins de la fille.
Caris en avait vu assez ! Elle sortit de sa cachette.
Sitôt qu’il la vit dans son habit de religieuse, l’homme partit sans demander
son reste. La fille avait l’air coupable, mais aussi furieux. « Que
faisais-tu ? lui lança Caris. Tu essayais de vendre ton corps ?
— Non, ma mère !
— Avoue la vérité ! Pourquoi l’as-tu laissé te
caresser les seins ?
— Que puis-je faire d’autre ? Je n’ai rien à
manger, et maintenant vous l’avez
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