Un Monde Sans Fin
lui avec femme et enfants. Ralph paya les ruffians et
fit entrer Alan et sieur Grégory dans cette demeure qu’il avait habitée avant
d’être nommé seigneur de Tench.
Tout y était propre et prêt pour sa visite. Il ordonna à
Vira de leur apporter du vin et de préparer à souper. Il était trop tard pour
continuer la route.
Grégory s’installa dans un siège, ses longues jambes
étendues devant lui. Apparemment, l’avocat était homme à prendre ses aises
partout où il se trouvait. Sa chevelure noire et raide à présent parsemée de
fils d’argent et son long nez aux narines bien dessinées accentuaient encore
son air hautain. « À votre avis, demanda-t-il, la procédure s’est-elle
bien déroulée ? »
La réponse de Ralph ne se fit pas attendre. Il avait
retourné la question dans sa tête pendant tout le trajet. « Ce décret
restera sans effet.
— Je partage l’avis du seigneur », renchérit Alan.
Grégory haussa les sourcils. « Tiens donc ? Et
pourquoi ça ?
— Tout d’abord, expliqua Ralph, parce qu’il faut
découvrir où sont les fuyards et ce n’est pas facile.
— C’est un hasard que nous ayons retrouvé Wulfric,
précisa Alan. Quelqu’un avait surpris une conversation entre sa femme et lui et
connaissait ainsi leur destination.
— Ensuite, continua Ralph, il faut avoir du temps devant
soi.
— En effet, acquiesça Grégory. Nous y avons passé la
journée entière.
— Et j’ai dû engager ces ruffians et leur fournir des
chevaux ! Non, pour ma part, je ne dépenserai pas mon temps et mon argent
à battre la campagne à la recherche des travailleurs en fuite.
— Je comprends.
— Surtout qu’il demeure une question : comment les
empêcher de fuir encore, la semaine suivante ?
— Et là, si personne ne sait où ils sont allés, on ne
les retrouvera jamais ! renchérit Alan.
— Il y aurait bien un moyen, dit Ralph, le seul qui me
vienne à l’esprit : envoyer dans tous les villages un émissaire chargé de
recenser les nouveaux arrivants et de les punir.
— Vous imaginez une sorte de commission des
travailleurs ? demanda Grégory.
— Précisément. Nommer dans chaque comté un groupe d’une
douzaine d’hommes qui irait de village en hameau traquer les fuyards.
— Autrement dit, ce que vous aimeriez, c’est que
quelqu’un se charge de ce travail à votre place.
— Pas nécessairement, répliqua Ralph sur un ton
tranquille, bien que le sarcasme de l’avocat lui ait fortement déplu. Je
pourrais être moi-même l’un de ces commissaires. L’important, c’est que la
tâche soit accomplie comme il se doit. On ne moissonne pas un champ en
cueillant les épis un à un.
— C’est une remarque intéressante ! » laissa
tomber Grégory.
Vira apporta un pichet de vin et leur servit un gobelet à
chacun.
« Vous ne manquez pas de ressources, sieur Ralph,
reprit l’homme de loi. Êtes-vous membre du Parlement ?
— Non.
— Dommage, je pense que le roi trouverait vos conseils
avisés.
— Vous êtes trop aimable, fit Ralph en s’efforçant de
cacher sa joie. À ce propos, ajouta-t-il en se penchant vers son hôte, la mort
du comte William crée une vacance. »
Voyant une brèche devant lui, il était décidé à s’y
engouffrer sans plus attendre quand l’entrée inopinée du bailli le coupa dans
son élan.
« Bien joué, seigneur Ralph, si je puis me
permettre ! s’écria Nathan. Grâce à vous, deux de nos meilleurs
travailleurs sont de retour au bercail !
— Espérons que le village paiera mieux son tribut
dorénavant, jeta Ralph sèchement, fâché d’avoir été interrompu à un moment
aussi critique.
— Certainement, seigneur. À condition qu’ils ne
s’enfuient pas de nouveau ! »
Ralph se rembrunit. Le bailli disait vrai : comment
faire en sorte que Wulfric reste à Wigleigh ? On ne pouvait quand même pas
l’enchaîner à sa charrue jour et nuit !
« Je sens, bailli, intervint Grégory, que vous avez une
suggestion à soumettre à votre seigneur.
— Oui, messire, en effet.
— C’est bien ce que je pensais. »
Se considérant invité à parler, Nathan se tourna vers
Ralph :
« Il est effectivement une chose que vous avez tout
pouvoir d’accomplir, seigneur, et qui vous assurera que Wulfric ne quittera
plus Wigleigh jusqu’à l’heure de sa mort. »
Ralph subodorait déjà que la proposition du bailli n’allait
pas lui plaire, mais comment l’empêcher
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