Un Monde Sans Fin
trouvait dans le Saint des saints, la salle secrète du
trésor. Les lieux, sombres et exigus, avaient quelque chose d’un cachot, mais
les murs étaient recouverts de pierres taillées avec soin et le sol pavé de
dalles lisses comme la nef de la cathédrale. L’air était sec et la température
agréablement fraîche. Ralph déposa Tilly par terre, troussée comme un poulet.
La plus grande partie de la pièce était occupée par un
coffre attaché au mur par une chaîne et un anneau. Sa taille colossale évoquait
un cercueil de géant. Le reste du mobilier se composait de deux tabourets, d’un
bureau et d’une étagère encombrée d’une pile de parchemins : sans doute
les livres de comptes du couvent. Deux lourds manteaux de laine pendaient à des
crochets. La trésorière et son assistante devaient s’en revêtir lorsqu’elles
travaillaient là pendant les mois d’hiver.
À l’évidence, le coffre avait été assemblé sur place car il
était bien trop volumineux pour passer par l’escalier. Il pointa le doigt vers
le cadenas. Joan l’ouvrit avec une clé pendue à sa ceinture.
À l’intérieur se trouvaient des dizaines de parchemins
roulés et rangés dans de grands casiers en bois : les chartes et titres de
propriété du couvent. Il y avait également plusieurs sacs en cuir ou en laine
remplis d’objets de culte précieux, ainsi qu’une cassette contenant
certainement de l’argent.
À présent, il devait agir avec une extrême subtilité.
Contrairement à ce qu’il allait faire croire, seules les chartes
l’intéressaient. Le plus difficile serait de les dérober sans qu’on s’aperçoive
de leur disparition.
Il donna l’ordre à Joan d’ouvrir la cassette. Elle
renfermait quelques pièces d’or – bien peu, en vérité. À coup sûr, il y en
avait d’autres cachées dans cette salle, à l’abri derrière des pierres
descellées. Il ne prit pas le temps de les chercher. Il n’était pas intéressé
par cet argent, il voulait seulement qu’on le croie. Il s’attacha donc à vider
ostensiblement la cassette dans la bourse qu’il portait à sa ceinture, tandis
qu’Alan entassait les ornements religieux dans un grand sac.
Puis il fit remonter Joan au réfectoire.
Tilly l’observait toujours, les yeux agrandis de terreur. Ce
qu’elle pouvait voir de la scène n’avait pas d’importance puisqu’elle n’aurait
plus l’occasion d’en parler à quiconque.
Ralph déplia un autre sac et se hâta d’y glisser les
parchemins. Une fois les casiers vidés, il ordonna à Alan de les réduire en
pièces. Laissant son écuyer jouer du marteau et du burin, il alla décrocher les
manteaux pendus au mur, les roula en boule et en approcha la flamme de sa
bougie. La laine prit feu immédiatement. Il empila les débris de bois sur les
manteaux et le tout s’embrasa si bien qu’il dut reculer de plusieurs pas.
Il regarda Tilly, étendue sur les dalles, sans
défense ; il dégaina son poignard. Puis, encore une fois, hésita.
*
Caris avait suivi Merthin quand il s’était levé, alarmé par
le cri. Une porte dérobée permettait d’accéder directement du palais du prieur
à la salle du chapitre, laquelle communiquait avec le transept nord de la
cathédrale. Ils poussèrent cette porte : la salle du chapitre était vide.
Ils pénétrèrent dans l’église. La flamme de leur bougie perçait à peine
l’obscurité du vaste édifice. Arrivés à la croisée du transept, ils
s’arrêtèrent pour tendre l’oreille.
Le claquement d’un loquet résonna dans le silence.
« Qui est là ? dit Merthin, honteux de la peur qui faisait trembler
sa voix.
— Frère Thomas. »
La voix venait du transept sud. Un instant plus tard, Thomas
apparaissait dans la lumière de leur bougie. « J’ai cru entendre crier,
chuchota-t-il.
— Nous aussi. Mais ça ne venait pas d’ici :
d’ailleurs l’église est vide.
— Allons faire un tour dehors.
— Et les novices ? Et les garçons ? Ils n’ont
rien entendu ?
— Si. Je leur ai dit de se rendormir. »
Ils longèrent le transept sud et sortirent dans le cloître
du monastère. Personne là non plus. Pas un bruit ne troublait le silence. Ils
rejoignirent l’hospice en passant par les réserves attenant aux cuisines. Tout
paraissait normal : les patients étaient couchés, endormis pour la
plupart. Quelques-uns, éveillés, bougeaient un peu et poussaient de temps à
autre un grognement de douleur. Merthin remarqua alors
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