Un Monde Sans Fin
créer une bourse à la laine, de promouvoir l’établissement de
normes et de mesures au sein des différentes guildes d’artisans.
Cependant, ces fréquents entretiens avec Caris lui
laissaient un arrière-goût amer, semblable à l’aigreur qui persiste dans la
gorge lorsqu’on a bu une gorgée de mauvaise bière. Il l’avait aimée de tout son
être, et elle l’avait repoussé. Penser à elle, c’était comme se rappeler une
journée de bonheur qui se serait achevée sur une dispute.
« Crois-tu que je ressente une attirance particulière
pour les femmes interdites ? demanda-t-il malicieusement à Philippa.
— Non, pourquoi ?
— Il est curieux tout de même qu’après être resté douze
ans amoureux d’une religieuse, et neuf mois célibataire, je m’éprenne de
l’épouse de mon frère.
— Ce terme me fait horreur, répliqua vivement Philippa.
Ce mariage était une mascarade. Je ne m’y suis soumise que contrainte et
forcée, je n’ai partagé la couche de Ralph que pendant quelques jours. Je suis
persuadée qu’il sera enchanté de ne jamais plus me revoir. »
Il lui serra doucement l’épaule. « Il n’empêche, nous
devons rester très discrets, comme je l’étais avec Caris. »
Il n’osa ajouter que la loi autorisait un homme à tuer son
épouse si elle commettait le péché d’adultère. Pour autant qu’il le sache,
aucun mari jaloux n’en était arrivé à de telles extrémités, du moins parmi la
noblesse, mais la fierté pouvait pousser son frère à commettre des actes
monstrueux. Ralph avait assassiné Tilly, ce qu’il avait révélé à Philippa.
« Ton père a aimé ta mère en silence pendant des années
tout en étant persuadé qu’il ne saurait jamais la séduire, n’est-ce pas ?
répondit Philippa.
— Mais oui, c’est vrai ! s’exclama Merthin, qui
avait presque oublié cette vieille histoire.
— Toi, tu as aimé une religieuse.
— Oui, et mon frère a été transi d’amour pour toi,
l’épouse comblée d’un comte, pendant des années. Comme disent les prêtres, les
péchés des pères retombent sur leurs enfants. Mais laissons ce chapitre.
Veux-tu souper ?
— Dans un petit moment.
— Tu veux faire quelque chose avant ?
— Tu le sais bien. »
Il le savait, en effet. Il s’agenouilla entre ses jambes et
déposa de doux baisers sur son ventre et ses cuisses. Elle avait la
particularité de toujours vouloir jouir deux fois. Il entreprit de caresser son
sexe du bout de sa langue. Elle gémit. Posant la main sur sa nuque, elle
l’attira plus près encore. « Oh oui, dit-elle. Tu sais comme j’aime ça,
surtout quand je suis pleine de ta semence. »
Il releva la tête. « Oui, je sais », dit-il en la
regardant. Et il se remit à la tâche.
*
Au printemps, la peste connut un répit. Les gens
continuaient de mourir, mais ils étaient beaucoup moins nombreux à tomber
malades. À la grand-messe du dimanche de Pâques, l’évêque Henri annonça que la
foire à la laine se tiendrait dans des conditions normales cette année.
Au cours de ce même office, six moines prononcèrent leurs
vœux perpétuels au terme d’un noviciat écourté. Mais Henri souhaitait accroître
le nombre de moines à Kingsbridge. La même tendance s’observait dans tout le
pays, prétendait-il. Il profita de ce jour solennel pour ordonner cinq prêtres,
formés sommairement eux aussi, qui seraient répartis dans les paroisses
environnantes. Enfin, il accueillit deux moines qui revenaient à Kingsbridge,
leur diplôme de médecin en poche après seulement trois années d’études au lieu
des cinq ou sept requises autrefois. Ces nouveaux médecins se prénommaient
frère Austin et frère Sime. Caris les avait vaguement connus à l’époque où elle
était sœur hôtelière, avant qu’ils ne partent pour Oxford faire leurs études au
collège de Kingsbridge. Le lendemain après-midi, profitant que ce lundi de
Pâques était férié, elle leur fit visiter le chantier de l’hôtel-dieu, qui
était presque achevé.
Ils se comportaient tous deux avec cette assurance proche de
la prétention que l’université semblait instiller aux étudiants en même temps
que la connaissance de la médecine et le goût pour les vins de Gascogne. Ses
années de travail au contact des malades avaient donné à Caris tout autant
d’assurance, et ce fut avec une autorité affirmée qu’elle leur présenta le
bâtiment et décrivit la façon dont elle avait
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