Un Monde Sans Fin
que son oncle,
mais Ralph m’a envoyé une lettre.
— Comment l’ont-ils appelé ?
— Roland, en souvenir du vieux comte.
— Un hospice a besoin d’une eau pure, dit Caris pour
changer de sujet. Ici, la rivière n’est pas très propre.
— Je t’installerai un aqueduc depuis les berges en
amont. » La neige se calma, puis cessa complètement, leur livrant bientôt
une vue dégagée sur l’île entière.
« Tu as réponse à tout », sourit Caris.
Merthin secoua la tête : « De l’eau propre, des
pièces claires et spacieuses, une salle d’accueil, ce sont des questions
faciles à résoudre.
— Il y en a de difficiles ? Lesquelles, par
exemple ? »
Il se tourna vers elle. Quelques flocons de neige s’étaient
accrochés à sa barbe rousse.
« Par exemple : “M’aime-t-elle
encore ?” »
Ils demeurèrent les yeux vrillés l’un à l’autre pendant de
longues secondes.
Caris nageait dans le bonheur.
Septième partie
Mars – novembre 1361
81.
À quarante ans, Wulfric demeurait aux yeux de Gwenda le plus
bel homme qu’elle ait vu de sa vie. Les fils d’argent qui illuminaient
désormais sa chevelure dorée lui donnaient un air sage et puissant. Dans sa
jeunesse, il avait eu de larges épaules et une taille incroyablement fine.
Aujourd’hui, son corps ne présentait plus la forme d’un sablier, car sa taille
s’était épaissie, ce qui ne l’empêchait pas d’abattre encore le travail de deux
hommes. Et il aurait toujours deux ans de moins qu’elle.
Gwenda estimait, pour sa part, avoir moins changé. Ses
cheveux foncés n’étaient pas de nature à grisonner facilement. En vingt ans,
elle n’avait pas grossi non plus, même si son ventre et ses seins s’étaient un
peu alourdis après ses deux maternités.
Elle ne ressentait le poids des ans que lorsqu’elle
regardait son plus jeune fils David, sa peau ferme et son allure sautillante. À
vingt ans, il était sa copie conforme au même âge. Elle aussi avait eu ce visage
lisse et cette démarche alerte, mais sa vie de labeur aux champs, qu’il neige
ou qu’il vente, avait flétri la peau de ses mains et rougi ses pommettes. À
présent, elle comptait ses pas et ménageait ses forces.
De petite taille, comme elle l’était elle-même, David était
malin et cachottier. Gwenda n’était jamais certaine de connaître véritablement
ses pensées. À l’inverse, son grand gaillard de Sam manquait d’astuce pour être
fourbe, même s’il possédait indéniablement un fond de méchanceté hérité de son vrai
père, Ralph Fitzgerald.
Voilà plusieurs années que les deux garçons secondaient
Wulfric dans son travail aux champs. Or, depuis quinze jours, Sam avait
disparu. Il s’était volatilisé au début des labours de printemps.
Les raisons de son départ n’étaient un mystère pour
personne : tout l’hiver, il avait parlé de quitter Wigleigh pour se faire
embaucher ailleurs à un meilleur prix.
Il avait raison, naturellement, néanmoins Gwenda était
alarmée. Quitter son village ou toucher une paie supérieure aux barèmes de 1347
était puni par la loi, quand bien même, aux quatre coins du pays, des jeunes
gens impatients bravaient l’interdiction et proposaient leurs services à des
fermiers que le manque de main-d’œuvre mettait au désespoir. Pour l’heure, les
propriétaires terriens comme le comte Ralph rongeaient leur frein.
Sam n’avait averti personne de son départ ni révélé sa
destination. Gwenda était persuadée qu’il avait pris la route sur un coup de
tête. Il avait dû entendre parler d’un village accueillant et se lancer sur les
routes sans plus attendre. Ce à quoi David ne se serait jamais résolu, à moins
d’avoir mûrement réfléchi à la question.
Certes, nul ne chercherait à exploiter ou à maltraiter un
garçon de vingt-deux ans. Gwenda avait beau le savoir et se le répéter, elle
souffrait malgré tout dans son cœur de mère.
Une pensée la rassurait : si elle-même n’avait pas
réussi à retrouver son fils, personne n’y parviendrait, elle en était
convaincue. Néanmoins, elle brûlait de savoir où il s’était établi, s’il était
au service d’un maître honnête et si on était gentil avec lui.
Au cours de l’hiver, Wulfric s’était fabriqué une petite
charrue afin de labourer ses terres les plus sablonneuses. Un jour de
printemps, il se rendit au marché de Northwood avec
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