Un Monde Sans Fin
ressources. Outre les loyers et les
taxes que leur versaient presque tous les habitants de Kingsbridge, ils
touchaient les revenus de milliers d’acres de terres arables. Il devait s’agir
de la façon dont ces richesses étaient administrées. Mais à quoi bon chercher à
en savoir davantage ? La cause était perdue. Théodoric lui-même s’était
réfugié dans le silence.
« Eh bien, nous avons eu là une discussion fort
intéressante, déclara Anthony sur un ton suffisant. Merci, Godwyn, d’avoir
soulevé cette question. Prions maintenant. »
Mais celui-ci était trop en colère pour prier. Il n’avait
pas obtenu satisfaction et il n’arrivait pas à comprendre à quel moment les
choses lui avaient échappé.
Tandis que les moines quittaient la pièce l’un derrière
l’autre, Théodoric lui lança un regard effrayé. « Je ne savais pas que les
sœurs réglaient une aussi grande partie de nos frais.
— Personne ne le savait », répondit Godwyn
durement. Et se rendant compte de sa brutalité, il se hâta d’ajouter :
« Quoi qu’il en soit, tu as été magnifique, Théodoric. Tu as débattu bien
mieux que nombre de diplômés d’Oxford. »
Le jeune moine en fut heureux. À l’évidence, c’était le
compliment qu’il attendait.
Après le chapitre, la congrégation se dispersait, les uns
allaient à la bibliothèque, les autres se promenaient dans le cloître en
méditant. Ce soir, Godwyn avait un projet différent. Une pensée l’avait taraudé
tout au long du dîner, puis de la réunion. Il l’avait reléguée au fond de son
esprit en raison de ses autres préoccupations, mais elle revenait soudain à la
charge. Cette pensée concernait le bracelet de dame Philippa, forcément
subtilisé par quelqu’un et dissimulé quelque part.
Un monastère n’offrait guère de cachettes. Les moines
n’étaient pas autorisés à posséder de biens personnels. À l’exception du père
prieur, personne ne disposait d’une chambre, d’une armoire ou seulement d’une
boîte réservée à son seul usage. La vie communautaire supposait le partage de
toute chose. Même aux latrines, les moines s’asseyaient les uns à côté des
autres au-dessus de la longue cuvette continuellement rincée par un filet d’eau
courante.
Or, comme Godwyn avait pu s’en convaincre aujourd’hui, le
monastère recelait au moins une cachette.
Il se rendit au dortoir. Par bonheur les lieux étaient
déserts. Écartant l’armoire du mur, il retira la pierre descellée. Cette fois,
il ne chercha pas à épier ce qui se passait de l’autre côté ; il
introduisit sa main dans le trou et en explora les parois, en haut, en bas et
sur les côtés. À droite, il y avait un petit creux. Godwyn glissa ses doigts à
l’intérieur. Ce sur quoi ils butèrent n’était ni de la pierre ni du mortier.
Grattant avec ses ongles, il parvint à extraire l’objet : un bracelet en
bois.
Godwyn le tint à la lumière. Il était taillé dans du bois
dur, probablement du chêne. La face intérieure en était délicatement polie, la
face extérieure ornée d’un entrelacs de losanges et de carrés sculptés avec une
finesse ravissante. L’on comprenait aisément que dame Philippa aime ce bijou.
Il le remit dans le trou, réinséra la pierre dans le mur et
repoussa l’armoire à sa place.
Que voulait faire Philémon de ce bracelet ? Le
vendre ? Il n’en tirerait guère plus d’un penny ou deux. De plus, c’était
dangereux car l’objet était trop identifiable. Quant à le porter lui-même...
Godwyn regagna le cloître. Il n’était pas d’humeur à étudier
ou à méditer. Il devait discuter des événements de la journée avec quelqu’un.
Il éprouva le besoin de voir sa mère.
Cette pensée l’emplit de crainte. Pétronille le réprimanderait
sans doute pour avoir échoué au chapitre. En revanche, elle le féliciterait
certainement de la façon dont il avait manœuvré avec l’évêque. Pris du désir de
tout lui raconter par le menu, il sortit du prieuré.
Les moines n’étaient pas à proprement parler autorisés à se
promener en ville à leur guise. Ils devaient avoir une bonne raison pour le
faire et, théoriquement, demander au prieur la permission de franchir les murs
du monastère. Mais les bonnes excuses ne manquaient pas. Le prieuré, en effet,
était constamment en affaire avec l’un ou l’autre des marchands de la ville,
qu’il s’agisse d’acheter des vêtements ou des chaussures pour
Weitere Kostenlose Bücher