Un Monde Sans Fin
les moines, du
parchemin, des cierges, des outils de jardin ou encore des brides pour les
chevaux, toutes choses indispensables au bon déroulement de la vie quotidienne.
De plus, le monastère étant propriétaire de presque toute la ville, il fallait
vérifier l’état des installations. Enfin, les médecins pouvaient être appelés à
tout moment au chevet d’un malade qui n’avait pas la force de se rendre à
l’hospice. Il était donc fréquent de croiser un moine dans la rue.
De par ses fonctions de sacristain, Godwyn avait peu de
chances d’être sommé d’expliquer ses raisons de quitter le prieuré. Néanmoins,
mieux valait être discret. Il s’assura que personne ne le voyait quand il en
franchit le portail. Laissant derrière lui le champ de foire, il s’engagea dans
la grand-rue d’un pas vif et entra chez son oncle Edmond.
Comme il l’espérait, Edmond et Caris étaient sortis pour
affaires et il trouva sa mère seule dans la maison, à l’exception des
serviteurs. Elle l’accueillit avec chaleur. « C’est un bonheur pour une
mère que de voir son fils deux fois dans la même journée ! Cela va me
donner l’occasion de te remplumer. » Elle lui versa une grande chope de
bière et pria la cuisinière d’apporter une assiette de bœuf froid. « Que
s’est-il passé au chapitre ? » voulut-elle savoir.
Il lui raconta la scène en détail et conclut :
« J’ai agi avec trop de hâte. »
Elle hocha la tête. « Mon père avait coutume de
dire : “Ne convoque jamais une réunion, à moins d’être assuré que son
résultat comblera tes attentes.” »
Godwyn sourit. « Il faudra que je me rappelle cet
adage.
— Cependant, je ne crois pas que tu aies tout raté.
— J’ai pourtant perdu la partie, avoua-t-il, soulagé de
voir qu’elle n’était pas fâchée.
— Oui, mais tu as établi ta position de chef de file
des réformateurs.
— Je suis passé pour un idiot.
— Cela vaut mieux que d’être un rien du tout. »
Godwyn n’était pas certain qu’elle ait raison sur ce point
mais il ne la contraria pas. Il ne le faisait jamais. Il se promit d’y
réfléchir plus tard. « Il s’est aussi produit une chose inattendue »,
lui confia-t-il, et il lui relata la scène entre Richard et Margerie sans
entrer dans les détails grossiers.
Elle en resta pantoise. « Richard est devenu fou, ma
parole ! Si le comte de Monmouth apprend que Margerie n’est pas vierge, le
mariage sera annulé. Le comte Roland sera furieux et Richard risque d’être
défroqué.
— Pourtant, bien des évêques ont des maîtresses.
— C’est différent. Un prêtre peut avoir une
« intendante » qui remplit les fonctions d’une épouse sans en porter
le nom. Un évêque peut en avoir plusieurs. Mais déflorer une vierge appartenant
à la noblesse à quelques jours de son mariage, ce n’est pas un crime auquel un
homme d’Église survivra, tout fils de comte soit-il.
— À votre avis, que dois je faire ?
— Rien. Tu as agi magnifiquement jusqu’ici. » Il
rougit de fierté. Elle ajouta : « Un jour ou l’autre, cette
information sera pour toi une arme puissante. Souviens-t’en au moment opportun.
— Il y a encore une chose. En m’interrogeant sur
l’existence de cette pierre descellée, il m’est venu à l’esprit que Philémon
s’en était peut-être servi d’abord comme cachette. Je ne me trompais pas. J’y ai
retrouvé un bracelet perdu par dame Philippa.
— Intéressant, laissa tomber la mère. J’ai la forte
impression que Philémon te sera utile dans l’avenir. Il est capable de tout,
vois-tu. Il n’a pas de scrupules, aucune morale. Mon père avait un associé qui
était toujours prêt à faire le sale travail : inventer des rumeurs,
répandre des commérages venimeux, fomenter des différends. De tels hommes
peuvent se révéler inestimables.
— Vous ne pensez donc pas que je devrais rapporter le
vol.
— Surtout pas ! Pousse-le à restituer le bracelet
si tu estimes que c’est important. Il n’aura qu’à dire qu’il l’a retrouvé en
balayant. Mais ne va pas le dénoncer. Tu en tireras bien plus d’avantages, je
te le garantis.
— Alors, je dois le protéger ?
— De la même façon qu’on protège un chien fou :
parce qu’il met en fuite les intrus. Philémon est dangereux, mais il vaut le
mal que tu te donneras pour lui. »
10.
Le jeudi, Merthin se remit à sa sculpture du vantail.
Pour l’heure,
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