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Un vent d'acier

Un vent d'acier

Titel: Un vent d'acier Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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ça qu’on achèvera de ruiner les aubergistes, le commerce, la France et les voituriers. » Voiturier lui-même, il ne trouvait plus à faire que des charrois.
    L’hôte se dérida un peu, mais il semblait toujours à Louvet défiant et maussade. Pour toute repue, il lui donna du pain noir, avec de la piquette. Sa femme avait l’air d’estimer que c’était encore trop. Le charretier intervint de nouveau. Il restait de son souper quelques bons morceaux de volaille. Avec bonté, il força l’infortuné convive à les finir. En fumant sa pipe, les pieds dans l’âtre, il parla. Il était de Limoges, où il retournait avec une charrette de marchandises qu’il avait eu bien de la peine à ramasser. Les affaires marchaient de plus en plus mal. Il s’en plaignit, mais quelque chose paraissait le tracasser davantage. Brusquement, cela sortit :
    « C’est comme ce qu’ils appellent leur divorce. Eh bien, moi je vous le dis, ventrebleu, ils ne me feront jamais quitter ma bonne femme.
    — Personne ne vous y contraindra, citoyen, dit Louvet. Le divorce est une faculté pour les ménages qui ne s’entendent pas, il ne saurait être une obligation.
    — Avec ça ! Toutes les femmes qu’ils enferment à la Visitation, ils les divorcent. J’en connais plus de dix dans ce cas. À commencer par celle du citoyen Naurissane, l’ancien maître de la Monnaie, pour lequel j’ai travaillé souventes fois. Il aimait tellement son épouse qu’il avait fait faire son image en statue dans leur jardin. Eh bien, ils l’ont divorcée la première. Et il n’y a pas que des aristocrates. La commère à mon voisin Michon, une jolie garce, ma foi, ils l’ont divorcée aussi pour la donner à un sans-culotte de la section Égalité. »
    Louvet ne dit point qu’il en était probablement de la jolie citoyenne et du sans-culotte en question comme il en avait été de Lodoïska et de lui-même. Il se contenta d’affirmer à son naïf interlocuteur : « Soyez tranquille, je vous garantis que si votre femme et vous ne désirez pas vous séparer, personne au monde ne vous divorcera. Vous pouvez m’en croire et dormir en paix là-dessus.
    — Ah ! vous êtes un brave homme ! s’écria le voiturier. Je suis bien aise de vous avoir rencontré. »
    Louvet n’en était pas mécontent non plus. S’il pouvait échapper aux funestes soupçons de l’aubergiste, il ferait route avec le bon Limougeaud, sur sa carriole. Mais il faudrait se lever de bonne heure. Il demanda son lit. L’hôtesse le mena dans une soupente où elle lui montra, à la lueur de la chandelle, un grabat devant quoi un palefrenier eût reculé. Elle déclarait en même temps qu’il fallait sur l’heure payer le souper et le gîte. Ainsi donc, c’était ça ! Il paraissait si misérable qu’on le prenait pour un chemineau. Se gardant de la détromper, il tendit à cette femme un petit assignat de quinze sols, sur lequel, honnêtement, elle lui rendit un moneron de cinq. Assurément, le repas et le coucher ne valaient pas plus de dix sous. Plus gracieuse, elle lui souhaita bonne nuit, en laissant, par faveur, ce qui restait de la chandelle.
    Il aurait dû être heureux de se voir si bien pris pour ce dont il voulait avoir l’air, cependant il en souffrait dans sa dignité. Il ne put retenir cette exclamation à mi-voix : « Que de peines ! Que de peines à souffrir, que d’humiliations à dévorer, hélas ! Et tout cela pour finir peut-être sur l’échafaud ! » Alors un remuement dans l’ombre, sur les feuilles craquantes d’une paillasse de maïs, lui apprit qu’il n’était point seul en ce grenier. La chandelle éclairait à peine, on ne distinguait rien à deux pas, mais quelque pauvre hère couchait là, que l’arrivée d’un nouvel hôte avait dû réveiller et qui devait avoir entendu l’imprudente exclamation. Du coup toute possibilité de sommeil, de repos s’évanouit. Avec son imagination toujours prête à galoper, le pauvre Jean-Baptiste se voyait à la merci d’un individu en train d’attendre l’aube pour courir dans le hameau alerter les « maratistes », afin de toucher les cent francs promis en prime aux dénonciateurs. Peu à peu néanmoins les ronflements qui retentissaient dans la nuit calmèrent ses alarmes : on ne dort pas de si bon cœur quand on prépare un traquenard. Louvet finit par s’assoupir.
    Quand il s’éveilla, une clarté grise entrait par la lucarne. Il faisait jour et il était seul. Il

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