Un vent d'acier
infailliblement la liberté si l’on ne déploie pas toute la terreur de la guillotine ».
Carrier lui succéda. Les noyades de Nantes avaient fait frémir le Comité de Salut public. Couthon s’était hâté de rappeler le féroce représentant. On n’osait pas le poursuivre, car il aurait fallu poursuivre aussi les autres responsables d’exécutions massives : Collot d’Herbois, Fouché, Barras, Fréron, trop gros gibier, du moins pour l’instant.
Le député du Cantal, ancien conseiller au bailliage d’Aurillac, était un homme de trente-huit ans, mis à la mode sans-culotte. Il débuta sur un ton calme, disant qu’il ne possédait point de certitude absolue quant aux intentions des modérantistes, vu son long éloignement du théâtre de la Révolution ; mais, dès son retour à Paris, il avait été « effrayé des nouveaux visages que j’ai vus sur la Montagne et des propos parvenus à mes oreilles ». En parlant, il s’excitait, sa voix montait, l’amertume produite par l’horreur et le mépris que la plupart de ses collègues laissaient percer à son égard, s’agitait en lui. Il finit par s’écrier furieusement : « On voudrait, je le vois, je le sens, faire rétrograder la Révolution. On s’apitoie sur le sort de ceux que la justice frappe du glaive de la loi. Les contre-révolutionnaires veulent briser les échafauds. Pour combattre ces traîtres, il ne suffit pas de continuer le journal de Marat, c’est l’insurrection, la sainte insurrection, que les Cordeliers opposeront aux scélérats, car c’est dans le cœur des Cordeliers qu’a toujours brûlé le feu sacré du patriotisme. »
Hébert prit la parole. Dubon le devinait animé par la colère, la haine contre Robespierre, Danton, Desmoulins, mais étranglé par la peur. Il annonça violemment : « Je vais arracher les masques. » Dans la salle, tous les Enragés applaudirent avec excitation. Ils furent déçus, car ils entendirent seulement dénoncer une fois de plus « les complices de Brissot, les soixante-treize députés qui ne sont pas encore livrés au bourreau, et les intrigants empressés à les soustraire au glaive vengeur ». Parmi ces intrigants, il n’en nomma qu’un seul : « M. Amar, noble, trésorier du roi de France et de Navarre », contre lequel il s’acharna, avec une virulence facile à comprendre quand on connaissait le fameux rapport suspendu sur la tête d’Hébert comme une épée de Damoclès. Il s’efforçait de l’émousser en déconsidérant Amar par avance.
Dubon suivait avec un vif intérêt le combat qui se livrait en Hébert. Il désignait Robespierre comme il l’avait déjà fait lors de la séance à Notre-Dame, et il tremblait d’aller plus loin. Il avait ce nom dans la gorge et ne se résolvait pas à le cracher. Il s’emportait contre les ambitieux.
« Les ambitieux ! ces hommes qui se tiennent derrière la toile, qui veulent régner ! Mais les Cordeliers ne le permettront pas.
— Non, non ! nous ne le souffrirons pas ! cria l’assistance.
— Les hommes qui ont fermé la bouche aux patriotes dans les sociétés populaires, je vous les nommerai. »
Aussitôt, frémissant de s’être engagé par cette imprudente promesse, il recula, lança d’un ton plaintif : « Depuis deux mois, je me retiens, je me suis imposé la loi de la circonspection, mais mon cœur n’y peut plus tenir quand je vois ces hommes accumuler leurs ravages. Je sais ce qu’ils trament contre moi. Je trouverai des défenseurs.
— Oui, lui cria-t-on. Oui, compte sur nous !
— Père Duchesne, dit Boulanger, parle et ne crains rien. Nous serons les Pères Duchesne qui frapperont. »
Et Momoro : « Je te ferai le reproche que tu te fais à toi-même, Hébert. C’est que depuis deux mois tu crains de dire la vérité, parle, nous te soutiendrons. »
Le petit homme en gris ne se fiait pas tellement à ces soutiens. Il se savait écouté par Dubon et bien d’autres alliés des Robespierristes, par les journalistes qui s’empresseraient d’imprimer ses propos, et il voyait bien à quoi Momoro, Vincent, Carrier le poussaient. Vincent, montrant un vieil exemplaire du Père Duchesne, déplorait la faiblesse des numéros récents. « On croirait, dit-il, que le Père Duchesne est mort. »
Hébert en prit prétexte pour accuser le système d’oppression dont il avait été victime « dans une société très connue » où il s’était vu refuser la parole, où l’on
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