Un vent d'acier
Jacobins. Claude n’y était pas, mais Dubon s’y trouvait. En sortant, il passa au pavillon et se montra pessimiste. « Tous ces gens-là, dit-il, même ton Fouché, ton Barras, sont des foutriquets. Ils peuvent bien attaquer Robespierre par la bande, quant à lui tenir tête, jamais. Il est venu se plaindre aigrement de la défiance dont la Convention fait preuve envers lui. Soudain, avec un de ces brusques coups de dent que tu sais, il s’est jeté sur Fouché. Il l’a mis en demeure de s’expliquer sur son athéisme terroriste, dans la Nièvre. À son fauteuil présidentiel, Fouché n’en menait pas large. Il s’est platement et bassement excusé en invoquant l’exemple de Chaumette. À quoi Robespierre lui a répliqué tout roide : Il ne s’agit pas de jeter de la boue sur Chaumette maintenant que ce monstre a péri sur l’échafaud, il fallait le combattre avant sa mort. Fouché n’est qu’un couard. Il devait répondre froidement à Robespierre de s’expliquer, lui, sur son terrorisme déiste. »
Claude ne demanda point à son beau-frère pourquoi il ne l’avait pas fait lui-même : il était déjà dans une situation presque impossible, à l’Hôtel de ville, et il fallait rester là, car s’il cessait d’y soutenir l’opposition sourde contre le maire, Fleuriot-Lescot, et l’agent national, Payan, la Commune tomberait entièrement aux mains des triumvirs.
« Lecointre a raison, ajouta Dubon, contre Robespierre il n’existe qu’une arme : le poignard. Si on ne l’emploie pas, cet ambitieux sera bientôt le tyran de la France. Il exerce sur tous ces poltrons une fascination inconcevable, ils lui livreront leurs têtes et les nôtres.
— Contre une idole, dit Claude, il existe une arme meilleure que le poignard : le ridicule. Je crois Vadier très propre à l’employer. »
En attendant, le lendemain Couthon et Robespierre attaquaient l’amendement. D’un air doux et attristé, l’infirme protesta contre l’interprétation fausse et calomnieuse de son rapport. Jamais il n’avait été question de faire de cette loi une arme contre l’Assemblée, jamais de menacer celle-ci ni de tenter de l’asservir. En votant la motion de Bourdon, la Convention marquait au Comité une injurieuse défiance. Bourdon de l’Ose répliqua : « J’estime Couthon, j’estime le Comité, mais j’estime aussi que l’Assemblée nationale ne doit pas abdiquer la moindre parcelle de sa souveraineté. » De nouveau, Robespierre quitta le fauteuil pour répondre. Il fallait, dit-il, être un mauvais citoyen pour penser que le Comité de Salut public pût vouloir asservir la Convention. La vérité c’était qu’au sein de celle-ci les continuateurs de Danton, d’Hébert et autres essayaient de former dans la Montagne un parti d’opposition.
« On doit frapper ces intrigants, plus misérables que les aristocrate parce qu’ils sont plus hypocrites. Ils égarent l’Assemblée nationale et veulent déconsidérer le Comité.
— Je demande qu’on prouve ce qu’on avance là ! se récria Bourdon. On vient de dire assez clairement que je suis un scélérat.
— Je n’ai nommé personne, riposta Robespierre d’un ton coupant, malheur à qui se nomme lui-même ! » Des voix s’élevèrent : « Les noms, tous les noms !
— Je les donnerai quand il faudra. »
Effrayé par cette menace, Merlin-Suspects se hâta de s’excuser : il n’avait nullement soupçonné le Comité, mais seulement cru qu’il fallait conserver à la représentation nationale son privilège. L’amendement fut rapporté.
En contemplant ce despote devant lequel une partie des conventionnels, remplis de haine et d’effroi, tremblaient, Claude se rappelait le petit avocat guindé qu’il avait vu pour la première fois à l’hôtel du Renard, l’obstiné parleur qui s’efforçait en vain de s’imposer aux États généraux. Cette obstination lui avait réussi. Il tenait à présent dans ses mains les têtes de ses deux cents et quelques collègues. Du moins le croyaient-ils. Toute sa force résidait là.
Dans les jours qui suivirent, la terreur régna parmi ceux dont il avait refusé de donner encore les noms. Ils se savaient, eux, ou supposaient être sur sa liste. Bourdon, tout courage envolé, restait au lit, malade de peur. Mailhe, qui, lors du procès de Louis XVI, avait proposé le sursis et se croyait maintenant condamné pour cela, passait ses journées à arpenter la route de Neuilly ou
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