Un Vietnamien bien tranquille : L'extraordinaire histoire de l'espion qui défia l'Amérique
bien que quelqu’un le fasse ! Je n’aurais pas dû m’occuper de trouver des documents, ce qui est le travail d’un espion, mais les communistes ne faisaient pas la différence entre espionnage et renseignement stratégique », dit-il, laissant filtrer un certain agacement.
L’analyse le passionnait et se mariait avec son métier de journaliste.
« L’analyse, poursuit-il, réclamait une connaissance très étendue de la situation. Si vous n’avez pas acquis ces connaissances, comment produire une analyse intelligente ?
Il fallait tout intégrer, les aspects militaires, politiques, sociaux, financiers et psychologiques. Il fallait une bonne perception des États-Unis. Il était très important de bien comprendre l’intention avant l’action. Après l’offensive du Têt en 1968, le Sud a perdu le moral. Chez les communistes, la déception a été forte, notamment en raison de leurs pertes humaines, et il leur était très difficile d’évaluer la situation.
Moi, je savais qu’à Sài Gòn, des gens commençaient à vendre leurs maisons. À Hà Nôi, ils ne pouvaient pas mesurer la portée du phénomène. J’avais l’avantage de connaître la situation dans les deux camps. Je me débrouillais pour avoir accès aux documents communistes – les résolutions, etc. –, capturés par la CIA et le CIO . Je lisais les rapports des interrogatoires de communistes capturés ou qui avaient fait défection. Je savais où l’on en était des deux côtés ». résume-t-il.
Chapitre 9 Une seule poignée de main
Des dizaines d’hommes triés sur le volet se sont relayés pour assurer le soutien de Pham Xuân Ân, souvent au péril de leur vie. Ils étaient chargés à la fois de lui faire parvenir les requêtes de Hà Nôi et de transmettre, en retour, documents, films et observations que Pham Xuân Ân préparait, quand il ne prenait pas, lui-même, l’initiative d’alerter Hà Nôi. Au bout de cette longue chaîne se trouvait le Bureau politique et son membre clé en la matière, le général Vo Nguyên Giáp, dernier de cette lignée de stratèges pétris d’histoire qui ont défendu avec succès le Viêt Nam. C’est lui qui s’exclame se retrouver dans la « salle d’opérations américaine » quand lui sont remis les rapports d’un « certain agent » dont il ignore tout, du mode d’opération au profil. Pour des raisons de sécurité, personne ne pose de questions.
De son côté, Pham Xuân Ân n’hésite pas à rendre au commandant en chef vietnamien le plus bel hommage. « L’offensive de 1975, comme le siège de Diên Biên Phu, est l’œuvre de Vo Nguyên Giáp », me dit-il un jour. « En ce qui concerne la dernière offensive de la guerre, de la conception à la réalisation, c’est entièrement la responsabilité de Vo Nguyên Giáp », ajoute-t-il.
C’est Pham Xuân Ân qui a attiré l’attention de Hà Nôi, dès 1963, sur la faillite de la « guerre spéciale » menée par les États-Unis dans le Sud et, l’année suivante, sur la probabilité de l’envoi sur place d’un corps expéditionnaire américain. C’est lui qui a suggéré avec succès en 1968, soit trois mois après l’offensive du Têt, qu’on arrête la pluie impopulaire de roquettes balancées sur Sài Gòn. Entre-temps, Pham Xuân Ân a fait comprendre à Hà Nôi, non sans mal, l’effet le plus positif de ces attaques contre les villes du Sud : le public américain s’est retourné contre la guerre. Enfin, il joue un rôle décisif, début 1975, en estimant que l’Amérique n’interviendra pas aux côtés de Sài Gòn lors de la dernière offensive communiste de la guerre.
Début 2004, la perspective du cinquantenaire de la chute du camp retranché français à Diên Biên Phu, le 7 mai 1954, offre une bonne occasion de rencontrer des vétérans vietnamiens de cette bataille considérée, par les historiographes officiels du pays, parmi les « victoires de légende » d’un peuple qui a dû souvent se battre, au fil des siècles, pour se défendre contre des invasions étrangères.
Sous le coup d’une interdiction de séjour, j’avais quitté le Sud en 1974, soit quelques mois avant la victoire communiste. Au lendemain de la « révolution des Œillets » au Portugal, une deuxième et turbulente vague de décolonisation s’annonçait en Afrique. Le Monde m’avait proposé d’ouvrir un poste à Nairobi et j’avais accepté. À l’exception d’une très brève
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