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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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peut-être venu, dit-il, que je vous explique comment je suis arrivé il y a une semaine au cimetière de Sienne.
     
    Anne, les mains croisées sur les genoux, eut un hochement de tête encourageant, comme si elle savait que, dans la cour du vieux palais, Jean-Louis franchirait une nouvelle étape.
     
    Pendant plus d'une heure il parla, avec aisance et scrupule comme s'il faisait un intime bilan de son être. Anne, attentive, l'écoutait. De sa jeunesse, de sa vie aux Cèdres, de l'amour passionnément exclusif qu'il portait à son père, il ne lui cacha rien. Il lui fit lire le poème d'Alcobaça et Anne fut bouleversée parce qu'elle avançait aussi dans la connaissance de son propre passé familial.
     
    - C'était un poète, dit-elle, comme Anna devait l'être et je les imagine tous deux rayonnant dans leur amour plein comme un cercle. Vous avez vu le Paradis de Giovanni di Paolo, vous vous souvenez de ces deux personnages en haut à gauche sous un arbre en fleur dont les visages expriment la paisible béatitude des êtres comblés ; ne trouvez-vous pas qu'ils ont l'air plus bienheureux encore que les saints qui les entourent ? C'est un peu comme si leur béatitude, leur satisfaction datait de plus longtemps que celle des autres qui viennent de découvrir le paradis, mérité par leurs vertus et leurs souffrances. Ils ne regardent pas alentour le rayonnement de la félicité qui s'exprime dans la somptuosité des fleurs et la joie sautillante du petit lièvre, ils ne voient qu'eux, ils se contemplent, ils s'unissent dans un regard. Dieu semble leur avoir donné la suprême volupté mystique de l'éternel face-à-face. Il a mis dans les yeux de chacun ce que tous les autres ne trouvent que dans la contemplation de Sa royale puissance. Je suis sûre qu'ils sont ainsi privilégiés là où il n'y a plus de privilèges.
     
    Elle s'était animée et Jean-Louis, dont la pensée s'efforçait de suivre l'évocation paradisiaque, se prit à envier sa foi intuitive, en même temps qu'il concevait enfin, pour la première fois, que son père lui avait complètement échappé.
     
    Anne eut soudain pour lui un regard chargé de tendresse. Jamais aucun être ne lui avait paru plus solitaire que cet homme, assis là, sur les marches du vieux palais, dans son costume sombre, avec sa chemise blanche à col raide, sa cravate grise et ses chaussures noires bien trop cirées. Depuis qu'il s'était ouvert à elle de son désarroi, elle sentait obscurément qu'elle devait l'aider à prendre conscience de lui-même, comme si les Batesti portaient une part de responsabilité dans l'incertitude où il se trouvait de vivre.
     
    Ce soir-là, Jean-Louis invita Carlo, son fils et sa fille à dîner au Palazzo. Le vieux gentilhomme arriva dans un costume noir dont on devinait, malgré les lumières douces de la salle à manger, l'usure soigneuse. Les revers du veston, le col avaient été retournés et un œil exercé aurait vu, au bord des manches, un fil habilement passé pour en retenir l'effrangement. Anne portait sur son corsage blanc une sorte de gilet de velours noir, bordé d'un liseré d'or, fermé par un étrange bijou, pareil à une patte de fauve dont les griffes étaient des rubis taillés en forme d'ongles acérés.
     
    - C'est une des agrafes de la cape de Pietro Batesti, qui fut capitaine de justice, dit Anne à Jean-Louis et, pour ce bijou, ces murs ne sont pas inconnus, ajouta-t-elle à l'attention de la comtesse, car comme chacun sait, le capitaine faisait une cour ardente à l'épouse du terrible Donelli de Crocci...
     
    - Cela valut à mon ancêtre qui était trop sentimentale pour ne pas se laisser émouvoir par les vers que lui envoyait le capitaine, dit la comtesse, de finir ses jours dans un puits souterrain, qui existe encore dans les caves de ce palais. Immergée jusqu'à la taille, au fond d'un puits aux murs lisses, l'épouse infidèle du comte de Crocci y resta, paraît-il, plusieurs années. On lui descendait un panier au bout d'une corde et un banc de pierre lui permettait de dormir assise. L'eau souillée était périodiquement renouvelée par une vanne et ces jours-là les cris de la malheureuse faisaient résonner d'appels lugubres les souterrains sonores.
     
    » Son amant qui était professionnellement chaque jour en rapport avec le bourreau de celle qu'il aimait mais qui, officiellement, ignorait tout de l'affreux supplice et ne pouvait y faire allusion sans se déshonorer et déshonorer sa

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