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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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une nouvelle victoire.
     
    En fait, il n'en était rien, le cheval de la contrada loué à prix d'or du côté de Viterbo se révélait imbattable à l'entraînement, mais si la comtesse venait à questionner Jean-Louis Malterre, il servirait ainsi un faux renseignement qui endormirait la méfiance de ceux de la Panthère.
     
    Tout cela paraissait d'une grande futilité à Jean-Louis qui ne désirait qu'une chose : parler d'Anna et de ses étranges noces.
     
    – J'ai retrouvé chez votre fille Anne les traits d'Anna.
     
    Carlo en une seconde redevint le grave gentilhomme qui l'avait accueilli quelques jours auparavant.
     
    – C'est Anna en moins mystique, en plus vivant, en plus riche, en plus doué, dit Carlo.
     
    Puis il ajouta :
     
    - C'est ce qu'aurait été Anna si notre père avait consenti à faire ce que j'ai fait – à tort ou à raison, à raison je crois -, à ouvrir la cage des vieux préjugés de notre aristocratie, à accepter qu'elle se mêle au siècle où il n'y a plus de place pour les êtres qui veulent faire de leur vie un ornement inutile et noble. En somme, conclut-il avec un sourire, le jugement de Dieu, chassant Adam et Ève de l'Éden et leur disant qu'ils devraient désormais se préoccuper d'assurer eux-mêmes dans la tourmente de l'humanité leur subsistance, n'est parvenu aux Batesti que depuis une génération...
     
    Tout l'orgueil abjuré des Batesti tenait dans cette phrase et Jean-Louis se demanda ce qu'aurait répondu son père.
     
    Comme si Carlo avait deviné sa pensée, il reprit après avoir vidé sa tasse :
     
    - Votre père, je m'en souviens, avait fort bien compris cette attitude de notre famille. Industrie et commerce étaient des mots qui n'étaient jamais prononcés qu'avec mépris dans cette maison, il y a encore moins d'un siècle. Pour notre père, qui fermait résolument portes et fenêtres au monde, toute activité lucrative était une sorte de prostitution. Seule la terre qui était don de Dieu lui paraissait digne de nourrir l'homme. Il admettait le troc, comme au temps de ses ancêtres, mais pas le commerce, et refusait qu'on l'entretienne du prix des métayages. Je l'ai vu payer en barriques d'huile son notaire. Quand mon grand-père ouvrait son coffre pour y prendre des pièces d'or, il voulait ignorer de quels fermages elles étaient le produit. La folie des nôtres a été de vouloir prolonger le Moyen Âge. La sagesse des vôtres a été de créer d'autres princes. Les savants sont les nouveaux condottieri et les lois qu'ils imposent à l'humanité ne sont pas moins dures que celles des grands seigneurs de la Renaissance. Ils ont en plus quelquefois la modestie et la satisfaction de se dire qu'ils œuvrent pour le bien-être commun. Seule, la justice a, je crois, perdu sa puissance formelle.
     
    - Mon père, comme Alain, dit Jean-Louis, ne considérait qu'une aristocratie valable, celle de l'intelligence. Il citait souvent une formule qu'il avait retenue de ce philosophe : « Les notions de droit et de devoir à tous les stades de la vie familiale, sociale, nationale ont été introduites pour créer une conscience collective du vulgaire, comme si tous les êtres humains méritaient cette liberté, cette faculté d'agir, de parler, de décider. »
     
    - Pietro et Anne seront de cette aristocratie, dit Carlo, de ceux qui auront le droit de parler. Ce sera leur manière de reconquérir.
     
    Il y eut un long silence pendant lequel Jean-Louis mit en parallèle sa jeunesse pleine de possibilités abandonnées dans le sillage paternel, et celle des enfants de Carlo où tout n'était que libre découverte.
     
    Depuis qu'il était arrivé à Sienne, la conscience lui venait d'un monde ignoré et de quantité d'aspects de la vie qui méritaient qu'on y soit attentif. La sagesse du nihilisme de son père cessait d'être aussi évidente et il lui semblait que son intelligence avait été développée sur de faux axes.
     
    Tard dans la soirée en regagnant l'hôtel, avec quelques ouvrages historiques sur la province de Sienne que lui avait prêtés Carlo, il se posa la question de savoir s'il ne devrait pas tenter de s'incorporer au monde des vivants. La crainte de s'y sentir mal à l'aise et de ne pas y reconnaître les principes de sa jeunesse le retenait encore, et les silencieuses ruelles, pauvrement éclairées, étaient à l'image de son doute.
     
    Le lendemain, avec Anne, il entreprit la visite de la cathédrale et Jean-Louis tenta de partager

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