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Une tombe en Toscane

Une tombe en Toscane

Titel: Une tombe en Toscane Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Maurice Denuzière
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maîtresse, conçut le projet de la tirer de là, en faisant creuser un souterrain. Il y parvint, mais quand il atteignit le puits où gémissait Mathilde, il n'y trouva qu'un cadavre qui avait pourri tout vivant. L'histoire dit qu'il en conçut un tel chagrin qu'il rendit publique sa liaison avec Mathilde de Crocci. Le mari de celle-ci le provoqua en duel et le tua sans qu'il se défende. Et la légende ajoute, dit la comtesse, en caressant d'une main sèche les lourds cheveux blonds d'Anne, que son épée fondit dans le cœur du capitaine, comme de la cire dans un brasier et qu'il n'en retira qu'un tronçon, ce qui lui fit perdre la raison.
     
    La comtesse, qui aimait à raconter les scandales légendaires des Siennois de sa famille, attendit un instant pour juger de l'effet produit sur Jean-Louis.
     
    Comme il demeurait silencieux tandis que les Batesti souriaient, la comtesse ajouta :
     
    – Je pourrais vous montrer le puits où périt Mathilde, il n'a pas été bouché et l'eau l'a envahi. Il y a deux cents ans, quand on le vida pour le nettoyer on y retrouva des ossements humains, probablement ceux de la malheureuse, et cette bague d'or gris que je porte, comme la portait ma mère et qui est le plus ancien bijou de notre famille.
     
    Jean-Louis, tandis que la comtesse servait le porto, comme s'il se fût agi de ses invités, ne put détacher son regard de la bague. C'était un simple anneau assez large, piqué de pierres bleues, qui semblaient être autant d'yeux cruellement perçants.
     
    Pendant tout le dîner, Anne fut silencieuse tandis que la comtesse, à qui Jean-Louis avait demandé de jouer le rôle d'hôtesse, parlait avec Carlo et Pietro du Palio de juillet, comparant les mérites des cavaliers, la qualité des chevaux. Ils poussaient par moments des soupirs qui semblaient traduire de grandes inquiétudes quant aux chances de triomphes de leurs contradas et ils se glissaient à voix basse, comme de redoutables secrets, de faux renseignements.
     
    Ils étaient pareils à des enfants occupés par un jeu de bluff désuet. Mais étaient-ils dupes ou s'appliquaient-ils à l'être pour maintenir la séculaire tradition publique, cet ultime luxe qui leur permettait, deux fois l'année, de cacher leur pauvreté sous les costumes de soie et d'or, de se faire donner un spectacle de style par le peuple, rendu pour un jour aux disciplines dont ils ressentaient dans leur palais l'absence définitive ? Étaient-ils des joueurs sincères ou des comédiens désespérés, qui acceptaient d'être les derniers à croire que la pièce qu'ils se jouaient avait l'apparence de la vie ?
     
    Anne, qui, silencieuse, souriait de temps à autre à Jean-Louis, n'y croyait pas. Seule peut-être de cette caste siennoise obstinément cramponnée aux regrets du passé, elle avait fermé le livre d'histoire aux belles enluminures pour se voir elle-même vivante dans la réalité du siècle. Par l'âme, par l'esprit elle était une Batesti. Il y avait en elle une sorte d'atavisme spirituel, mais son orgueil lui était personnel et n'avait pas à se nourrir sans cesse de sa race. Tandis qu'elle traduisait de temps à autre pour Jean-Louis un terme du Palio, il remarquait combien elle était loin de cette table où, sur la dentelle de la nappe, les porcelaines dorées aux armes des Crocci paraissaient, sous les lumières, faites d'une terre de soleil, qui mettait d'étranges reflets de sang dans les cristaux colorés par le chianti.
     
    Jean-Louis se posait quantité de questions, certes, mais il découvrait peu à peu au milieu de ces étrangers, qu'il aurait pu prendre parfois pour des fantômes travestis en êtres humains et rescapés de mystérieuses aventures, une quiétude rassurante. Par eux, depuis qu'il était à Sienne, il avait accès à un monde ignoré et le fait d'avancer dans la direction de son père lui ôtait toute méfiance.
     
    Tout acte de vie, toute pensée échangée avait une importance particulière. Il était admis au banquet subtil de l'art et il découvrait par les passions, les légendes, les visions, la sincérité de l'expression. Il admettait maintenant qu'on pouvait trouver plus qu'une simple et complète sensation de beauté dans une fresque, que l'œuvre d'art n'était jamais une chose terminée et morte, bonne à être enfermée dans un musée, comme dans un cimetière où se trouvent scellés dans les salles des moments de vivante extase. Il sentait, confusément encore, que l'œuvre

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