Une tombe en Toscane
cinq ans après la mort d'Anna, ma petite sœur. Jamais je n'en ai réussi d'aussi belle. Elle porte son nom. En voici une, dit-il, en montrant la merveilleuse fleur à la fois charnue et légère, dont le stigmate frémissait comme une antenne de vie, et savez-vous que les philtres d'amour les plus puissants étaient préparés par les sorciers à partir d'une décoction d'orchidées ?
Il devint pensif et, au milieu de ces floraisons inquiétantes, de beautés naissantes ou pubères et prêtes à être livrées, l'oncle Giulio ajouta :
- C'est une fleur humaine et mystérieuse, elle est sensuelle et on a l'impression que le génie végétal n'a pas été jusqu'au bout de son geste créateur, comme si, soudain, un sens magique l'avait poussé à faire plus qu'une fleur, une sorte de fée charnelle et envoûtante.
Tandis que le maître des orchidées parlait et parce que le moindre geste dans cette atmosphère épaisse déplaçait des ondes, les fleurs, imperceptiblement agitées, s'éveillaient, semblaient s'affronter en un conciliabule végétal.
Jean-Louis retrouva l'air frais du jardin avec un vif soulagement et Anne, qui jouait avec un chien blanc, le rejoignit.
- N'est-ce pas, dit-elle à voix basse, que l'oncle Giulio a l'air d'un sorcier. Je suis sûre qu'il parle à ses fleurs et qu'elles lui répondent. Moi, elles me font peur.
Le malaise se dissipa très vite et Jean-Louis mit tout cela sur le compte de l'atmosphère tropicale de la serre. Avant qu'il ne quitte Fiesole, l'oncle Giulio tint à faire un cadeau à Jean-Louis.
- Il y a près de quarante ans qu'il est enfermé dans un tiroir. Il doit avoir à peu près mille six cents ans, il vient d'une de nos « campagnes », un paysan l'a trouvé un jour, en labourant.
Et il lui tendit une statuette de terre cuite, un ange guerrier portant un casque et un bouclier romain qui paraissait poursuivre une course ininterrompue à travers les siècles.
C'était une merveilleuse pièce qui eût fait la joie d'un collectionneur. Un peu de poudre d'or restait accrochée au bouclier. Mais Giulio avait l'air de juger le cadeau banal et les remerciements de Jean-Louis exagérés.
Plus tard, Anne dit à Jean-Louis que son oncle lui avait fait ce cadeau pour qu'il ne lui demande pas d'emporter une orchidée bleue.
– Le seul être au monde que Giulio jugeait digne d'en posséder une était votre père. Quand il vient à Sienne, oncle Giulio en dépose parfois dans ma chambre pour que je les porte sur la tombe d'Anna, mais toutes les autres naissent et meurent dans les serres. Père raconte qu'il y a, dans un coin du jardin, un endroit où son frère enterre les fleurs mortes, on l'appelle le cimetière des orchidées bleues. Popy, le chien, ne s'en approche jamais, comme si la terre avait, en ce lieu, un parfum de menace.
Avant de quitter Florence, Jean-Louis s'arrêta chez un chemisier. Il acheta quelques chemises légères à col souple, deux ou trois cravates à tons vifs, un veston de sport et un pantalon gris. Anne le plaisantait :
- Vous nous montez une garde-robe italienne...
- Hier, dit-il, je me suis aperçu en nouant la vieille cravate de mon père que les couleurs n'étaient pas aussi inconciliables avec ma personne que je le croyais. J'étais voué au gris depuis toujours, je veux voir quel effet je pourrais produire dans d'autres tons...
Ils rirent franchement et reprirent la route de Sienne.
Les jours suivants ils allèrent à San Gimignano voir les tours, à Volterra où ils s'attardèrent au musée étrusque et chez les sculpteurs d'albâtre et d'agate. Ils firent une autre fois le tour du lac Trasimène et gravirent au-dessus d'Assise la colline où saint François s'était construit un oratoire au milieu des oiseaux et des fleurs. À Pienza, ils visitèrent le palais des Piccolomini où le dernier descendant pleurait encore son fils, tué en combat aérien en 1940, en faisant visiter la chambre qu'occupait, quand il venait se reposer en Toscane des soucis du Vatican, son ancêtre le pape Pie II.
Ils arrivèrent un matin à Chiusi. Sur la colline, le village paisible fut autrefois une des douze lucumonies d'Étrurie qui firent trembler Rome. Il apparut à Jean-Louis comme un site idéal. La cité était telle qu'il aurait imaginé, si jamais ses pensées l'y eussent conduit, le refuge humain le plus serein et le plus calme. Depuis qu'à Volterra, un guide prolixe et
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