Une tombe en Toscane
triste.
- Vous n'êtes pas encore guéri. Nous autres, Toscans, nous savons reconnaître l'amour et vous ne m'aimez pas, Jean-Louis. Vous voulez simplement essayer de réussir dans la vie ce que votre père a accompli dans la mort. Vous continuez à imiter. Je suis la nièce d'Anna. Je me sens plus que sa nièce, sa sœur, mais il n'est jamais donné de grâce identique à des êtres différents. Vous me portez une grande amitié, moi j'ai pour vous une sorte d'amour fraternel qui a ses racines plus profondes et plus lointaines que vous ne le pensez, mais l'amour ne s'imite pas... et puis, ajouta-t-elle malicieusement, peut-être suis-je déjà fiancée !
Jean-Louis, décontenancé, vit arriver son train.
- Vous avez sans doute raison, dit-il avant d'y monter. Oubliez ce que je viens de vous dire.
Alors, elle lui jeta ses bras autour du cou et l'embrassa très fort sur les deux joues, comme une petite fille qu'elle était.
- Revenez vite ! lui cria-t-elle, comme le train démarrait.
Et Jean-Louis fit un signe rassurant comme s'il voulait dire qu'il était de ce pays-ci.
Dans le train puis, plus tard, dans l'avion, il ne put détacher ses pensées de la Toscane. Il aimait Anne, mais ce n'était pas d'amour puisque son refus et la possibilité qu'elle soit fiancée ne lui avaient causé nul chagrin. Au contraire, maintenant, il se sentait plus près d'elle, parce que se trouvait dissipé ce que son conformisme pouvait imaginer d'équivoque dans leur intimité. Il ne l'aimait pas non plus comme une amie, ni comme une sœur. Il l'aimait comme la vie possible qu'elle lui avait révélée. Et à travers elle, c'était lui, cet homme inconnu, qu'il commençait à aimer depuis qu'il avait cessé de jouer les imitateurs.
Il savait bien que si Anne avait accepté maintenant d'être un jour sa femme, le bonheur leur aurait été refusé, parce qu'il ne lui aurait offert qu'un amour étudié. Il serait resté définitivement un acteur mal démaquillé qui aurait exprimé les sentiments d'un autre avec des mots à lui ou, plus gravement, ses sentiments personnels avec les mots de son rôle. Tous deux auraient été dupés parce que la fiction aurait dû prendre la densité d'une réalité inapprochable.
« J'étais devant moi-même comme devant une vitrine dont on aurait baissé le rideau de fer, pensa Jean-Louis, raisonnant à la manière d'Anne. Elle m'a appris que la vitrine n'était pas vide, puis elle a soulevé le rideau. Jusqu'à ce matin, je ne devinais que confusément le contenu de la vitrine. Maintenant la lumière est venue et je vois. »
Il ne fit que traverser Paris en taxi. Le lendemain matin, il sonnait à la grille des Cèdres comme un homme qui revient chez lui après des années d'absence, prêt à trouver à toute chose une signification différente.
A son appel, Emile déclencha de son pavillon le mécanisme qui ouvrait la porte, après avoir reconnu Jean-Louis. Deux choses l'étonnèrent, tandis que le maître des Cèdres montait vers la villa : il sifflotait en regardant les arbres, il avait aussi négligé de refermer le portail derrière lui, comme si, bientôt, il devait repartir.
TROISIÈME PARTIE
LE COMMENCEMENT
1.
Le temps des décisions était venu. Le lendemain de son retour aux Cèdres, Jean-Louis dit à sa mère après le déjeuner :
- Tu me demandais hier ce que j'avais découvert en Toscane et je n'ai pas complètement répondu à ta question. J'y ai trouvé une autre raison de vivre que cette usine. Si je te parle des Étrusques, tu me diras sans doute que des savants se sont préoccupés de définir leurs origines sans y parvenir et que c'est une spécialité qui m'est étrangère. Tu auras raison, mais je pense que tu comprendras qu'on ne discute pas les passions soudaines.
Camille, plus blonde et plus élégante que jamais, pensa à Georges Settier, sa passion soudaine et définitive, et dit qu'elle comprenait fort bien.
– J'ai donc décidé, poursuivit Jean-Louis, de confier la direction de l'usine à Michel Vérimont dès qu'Agnès sera devenue sa femme et de retourner vivre un certain temps en Toscane.
Camille, qu'animait une joie permanente depuis que l'amour lui avait été révélé, admit encore que Jean-Louis avait raison.
- D'autre part, pour les intérêts de la famille, je compte sur M e Settier, il saura les protéger et j'envisage de lui confier le portefeuille.
Mme
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