Une tombe en Toscane
tuberculeux lui avait montré quelques urnes cinéraires et quelques pièces de bronze ou de céramique, tout ce qui touchait aux Étrusques passionnait Jean-Louis.
À Chiusi, il fut comblé. Anne dut lui livrer toutes ses connaissances sur le sujet et il ne consentit à sortir du musée que pour se rendre en pleine campagne à la recherche des tombes, dont les paysans indifférents détenaient les clefs. Dans les tombeaux souterrains, en admirant les fresques millénaires peintes sur la pierre sèche, Jean-Louis ressentit pour la première fois de sa vie une sorte d'enthousiasme artistique. Il était dans ce tuf même de la civilisation toscane et les artistes inconnus avaient su mettre là une foi mystérieuse et triomphante qui avait passé le temps et la mort. Le fait qu'on ne sache rien de ce peuple, ni ses origines, ni ses mœurs, ni sa religion et que les inscriptions qu'il a laissées ici et là soient demeurées incompréhensibles avait un attrait particulier.
- Mon père a un vieil ami très érudit qui dirige les fouilles de la région depuis plus de quarante ans, je crois qu'il sait tout ce qu'on peut savoir des Étrusques. Je vous le présenterai si vous voulez et vous pourrez même séjourner chez lui.
Avant de regagner Sienne, ce jour-là, Jean-Louis voulut revenir au musée. Anne demanda grâce. Seul au milieu des vases et des urnes cinéraires, le jeune homme sentit naître une sorte de vocation. La curiosité le tourmentait de savoir qui étaient les hommes et les femmes dont les bustes émergeaient des couvercles des cercueils de pierre, comment ils avaient vécu, aimé et souffert, et s'il est vrai, comme l'affirment certains savants, qu'ils croyaient en un dieu unique créateur du ciel et de la terre, disposant d'un lieu de supplices pour tourmenter après la mort les âmes des méchants. Sur tous ces visages de pierre, il croyait reconnaître un même air ironique, une sorte de provocation amusée. Cavaliers montant de grands chevaux à tête fine, marins, danseurs, musiciens, guerriers gracieux et décidés, des siècles de vie grouillaient en eux.
Pour Jean-Louis, pendant longtemps le monde s'était limité à un seul être, puis à une seule entreprise dont le maintien et le développement paraissaient une finalité. Son père avait été sa religion et son Dieu et cette sorte d'éblouissement permanent dans lequel l'avait tenu son souci de l'imiter en tout, de lui ressembler, d'être un reflet parfait lui avait fait nier le monde.
Maintenant, tandis qu'il fixait cette étrange déesse à longues nattes, aux mains croisées avec ferveur sur la poitrine née du ciseau mystique et inspiré d'un artiste qui avait habité ces collines aux rondeurs adoucies, il ressentait une sorte de honte et se trouvait dans l'attitude de celui qui a beaucoup à se faire pardonner. Il devinait qu'en péchant contre l'essence qui animait les créateurs depuis la création, il avait péché contre lui-même. Il avait pratiqué une sorte de séquestration de sa propre personnalité, sans profit puisque celle de son père lui avait échappé. Pour se retrouver lui-même, pour se recréer, il estimait nécessaire de repartir de fort loin. Plus sûrement qu'à travers ses ascendants immédiats, il trouvait ses propres racines dans un monde primitif, où tout, comme en lui-même, n'était encore qu'incertitudes.
Sa progression était jalonnée de tombes. Les gisants d'Alcobaça et cette étrange fille qui à travers le viseur de ses appareils photo cherchait, elle aussi, l'accès à une cité perdue et à laquelle il pensait quelquefois, la tombe d'Anna Batesti et maintenant ces urnes cinéraires où la densité de la vie secrète d'une civilisation oubliée mettait un charme envoûtant.
« L'art, la mort, se dit-il, Anne a raison, une même naissance à quelque chose qui est la vérité de nous-mêmes et l'amour. Trois directions qui convergent vers la sublimation de cette secrète puissance de la pensée. »
Tout était encore bien confus dans son esprit. Il était comme le découvreur de trésors qui possède une carte incompréhensible parce que la rose des vents n'y figure pas. Il ne sait comment se situer par rapport à la carte, ni l'orienter de façon convenable.
À ces pierres taillées, à ces fresques sauvées des griffes des siècles par la profondeur des tombes, à ces vases de terre noire et lisse, fêlés et ébréchés, à ces coupes de bronze où des lèvres
Weitere Kostenlose Bücher