Une veuve romaine

mettait au défi de lui poser des questions acérées. Cet interrogatoire la stimulait. Alors, loin de moi l’idée d’aiguillonner un suspect qui aimait autant être le centre d’attention. Je me contentai donc de m’étirer paresseusement.
    — Jamais plus, hein ? Ça me rappelle ce que je me promettais toujours, à chaque fois qu’une femme venait de me briser le cœur après m’avoir piqué tout mon fric.
    — C’est vraiment du passé ? demanda-t-elle, incapable de réfréner sa curiosité.
    — Je suis devenu trop vieux. Les femmes veulent avoir dans leurs lits de jeunes garçons vigoureux qui se laissent manipuler facilement.
    — Tu es trop romantique, Falco, se moqua-t-elle. (Pour une raison que je ne compris pas, elle parut devenir soudain plus méfiante.) Pourquoi es-tu incapable de soutenir une conversation normale et franche ?
    — Je m’ennuie rapidement, admis-je. C’est assez franc pour toi ?
    Nous éclatâmes tous les deux d’un rire aviné.
     
    Assise les jambes croisées, Severina gardait le dos très droit. Comme elle était installée à ma gauche, je tenais ma coupe appuyée sur mon genou droit, ce qui me permettait de l’observer à la dérobée.
    — Je bois plus que toi, déclara-t-elle en se resservant.
    — Ça ne m’a pas échappé.
    — Tu essaies de rester sobre pour pouvoir m’extirper mes secrets !
    — J’aime qu’une femme ait des secrets.
    — Peut-être, mais moi tu ne m’aimes pas ! Alors cesse de me raconter des histoires… J’aurais dû te demander, murmura-t-elle (en se croyant subtile), si quelqu’un était en train de t’attendre à la maison.
    — Non, répliquai-je sobrement, en vidant ma coupe d’un trait.
    Le résultat dépassa mes espérances : je faillis m’étouffer.
    — J’avoue que tu me surprends ! insista-t-elle d’une voix de velours.
    Quand je cessai enfin de tousser, je pus dire :
    — Tu avais raison, l’autre jour, en déclarant que je visais trop haut.
    — Raconte-moi !
    — Il n’y a pas grand-chose à raconter. L’un de nous deux rêve de créer un foyer, l’autre tient à rester libre comme l’air. (Severina adopta l’expression dubitative de quelqu’un qui n’a pas saisi la plaisanterie.) Les femmes sont tellement irresponsables ! m’exclamai-je. Elles fuient leurs responsabilités.
    — Alors comment comptes-tu t’y prendre pour la faire tomber dans tes filets ?
    L’air méprisant, Severina était néanmoins entrée dans le jeu.
    — J’ai mes méthodes.
    — Les hommes sont si sournois !
    — Quand j’aurai réussi à lui faire découvrir tous les aspects de ma succulente cuisine et de ma tendre nature, je suis sûr qu’elle va craquer.
    — Est-ce qu’elle t’aide dans ton travail ?
    — Tu m’as déjà posé cette question. Je la tiens en dehors de mes enquêtes.
    — Je me demandais si tu ne l’envoyais pas espionner dans des endroits où il t’était impossible de te rendre toi-même…
    — Je ne la laisserais jamais aller dans un endroit où je ne peux pas me rendre moi-même.
    — Comme c’est noble de ta part, commenta Severina.
     
    Nous avions tous les deux cessé de boire et regardions droit devant nous, comme de pseudo-philosophes. Ce que je venais d’ingurgiter, ajouté au Falernian bu chez les Hortensius, et aux vins servis pendant le banquet de Titus, me faisait douter de pouvoir encore tenir debout quand j’allais me lever. Severina elle-même paraissait toute somnolente.
    — C’est la nuit des révélations !
    — Des révélations à sens unique ! grommelai-je, soudain de mauvaise humeur. Mon plan était de te faire des confidences pour t’entraîner sur la même pente…
    — Ton plan, Falco ? Tu t’es imaginé qu’il suffisait de me faire boire pour m’obliger à débiter mes petits secrets ?
    — Tu t’es soûlée toute seule.
    — Je déteste quand tu deviens logique.
    — Et je te déteste pour… Oh ! Mieux vaut laisser tomber, soupirai-je. Je me sens trop fatigué pour poursuivre un dialogue stupide.
    — Tu es en train de t’endormir, ricana-t-elle.
    C’était peut-être vrai. Peut-être souhaitais-je simplement le lui faire croire.
    Ou peut-être n’étais-je plus en mesure de me contrôler.
    Constatant que je ne répondais pas, elle laissa aller sa tête en arrière en marmonnant des paroles inaudibles. Puis, elle retira de son doigt la bague aux deux mains réunies par du jaspe rouge, la jeta en l’air, la rattrapa,