Vengeance pour un mort
allons-nous dîner ? Je ne vois alentour que des prés.
— Vous avez faim ? demanda Raquel, qui l’avait vue chipoter sur son déjeuner.
— Non, c’est pour savoir, c’est tout.
— Je crois que nous mangerons au bord de la route. Votre père connaît bien cette région, il saura où nous devons faire halte. Il faudra qu’il y ait de l’eau et de l’herbe pour les animaux, ainsi que des arbres pour s’asseoir à l’ombre.
La route traversait les grandes plaines côtières et il faisait plus chaud à chaque minute. Les questions et les jérémiades de Bonafilla effleuraient à peine l’oreille de Raquel, pareilles à la musique d’un ruisseau : elle cessa bientôt de les entendre. À part lui suggérer de se débarrasser d’un de ses voiles et d’écarter l’autre pour permettre au vent de lui rafraîchir le visage, elle ne lui prêtait plus attention, perdue dans ses propres pensées.
Entre tierce et sixte, ils s’arrêtèrent brièvement près d’une rivière pour laisser boire les bêtes, puis ils repartirent. Même la jument de Yusuf ralentissait en franchissant les collines. Enfin, un air plus frais, plus vif, caressa leurs visages.
— C’est la mer, dit Yusuf. Elle n’est plus très loin.
— Dès que nous le pourrons, nous nous arrêterons pour dîner, dit Astruch.
— Quand est-ce, papa ? demanda Bonafilla. Je voudrais bien que ce soit tout de suite.
— Dans une heure ou deux, répondit-il. Ici, la plupart des ruisseaux sont saumâtres. Il faut s’éloigner davantage du littoral.
Raquel pressa sa mule pour rejoindre Astruch et son père, qui parlaient de toutes sortes de choses.
— Maître Astruch, dit-elle, où allons-nous passer la nuit ? Votre fille ne cesse de m’interroger à ce sujet.
— Vraiment ? Il y a quelques jours, j’ai expliqué à Bonafilla quel serait notre itinéraire, mais elle m’écoute rarement. On trouve une ferme, à quelques milles à l’intérieur des terres – à quatre heures d’ici, peut-être. J’y suis descendu plusieurs fois, voilà des années, quand le vieux couple qui en avait le bail était encore vivant. Ils n’étaient pas très riches, mais ils vivaient bien et appréciaient toujours les visiteurs. Ils avaient un splendide verger ainsi que des vignes, et aussi des oliviers et quelques chèvres, ajouta-t-il. Leur fils, Mosse, doit s’en occuper à présent.
Au palais de Perpignan, la vie quotidienne avait été complètement bouleversée par l’arrivée de la princesse Constança et de sa suite. Il fallait installer les soldats et leurs officiers, loger les dames de compagnie et modifier les déplacements habituels pour protéger l’intimité de la jeune princesse.
Au son des trompettes lointaines, les cuisiniers s’étaient empressés de changer le menu du dîner : ils avaient ajouté plusieurs plats et en avaient supprimé quelques-uns, conformément aux goûts de la princesse.
— Quel idiot a dit qu’elle ne serait pas là avant la semaine prochaine ? grommela le chef cuisinier au milieu d’un flot d’instructions. Ces poissons que tu m’as apportés, je ne les donnerais même pas à son chien ! lança-t-il au sous-chef.
Il s’arrêta un instant pour se verser un gobelet de vin et se calmer les nerfs.
Nul n’eut le courage de lui répondre.
Dès qu’elles eurent ôté leurs vêtements de voyage et se furent débarrassées de la poussière de la route, la princesse et ses dames descendirent dans la petite cour. Sur les instructions de Margarida, Johana s’était assise à l’endroit où elle pourrait le mieux accueillir la suite royale. Elle se leva et fit une profonde révérence.
— Dame Johana, dit la princesse en lui adressant un signe de tête et un sourire, c’est pour moi un grand plaisir que de vous revoir. Cela fait trop longtemps que je n’ai eu le plaisir de votre compagnie.
— Je suis heureuse d’accueillir une fois encore Votre Altesse, répondit Johana en s’inclinant encore plus bas. Très reconnaissante aussi d’avoir pu séjourner dans ce palais.
— Venez vous asseoir à mes côtés, dame Johana.
Johana prit la chaise qu’on lui avançait.
— Maintenant, dites-moi ce qui s’est passé, fit Constança d’une voix très douce. J’ai entendu tant de choses, certaines si étranges qu’elles ne peuvent être vraies. Mais, même ainsi, cela me paraît très grave.
En dépit de l’affabilité de ses propos, elle posait sur dame Johana un regard
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