Victoria
rendue à l’église presbytérienne. L’office est dit par le révérend Norman McLeod, venu de Glasgow. Il commente cet épisode de l’Évangile de Jean où Nicodème, « un chef des Juifs », vient voir le Christ qui lui dit : « en vérité, je te le dis, à moins qu’un homme ne naisse de nouveau, il ne peut pas voir le royaume de Dieu ». Il fustige l’égoïsme, il prie pour « les mourants, les blessés, les veuves et les orphelins ». Victoria est émue aux larmes. Elle sort de l’église avec une fermeté renforcée et le désir que tous ceux qui ont assisté ensemble à ce beau sermon y puisent la force de traverser vaillamment cette longue épreuve.
Jour après jour, la reine écrit des lettres de condoléances à des milliers de veuves. Les nouvelles du front sont consternantes. Mal soignés, les hommes sont aussi mal nourris et mal vêtus. L’intendance est déplorable. La presse se fait l’écho de ces scandales, tout particulièrement le Times , qui, pour la première fois, a dépêché sur place un correspondant de guerre, William Howard Russell. Il lui est interdit de monter en ligne, mais Russell est un grand reporter de génie. Ses articles montrent qu’il en sait autant, et souvent davantage, que Lord Raglan, le commandant en chef des troupes britanniques.
Victoria ne tarit pas d’éloges sur l’héroïsme de ses soldats et de leurs officiers. Elle écrit à la princesse Augusta de Prusse, en espérant que ses propos seront répétés à son père, lequel n’a pas voulu engager son pays aux côtés de la Grande-Bretagne dans cette noble cause : « Je regrette énormément, lui dit-elle, de ne pas être un homme pour pouvoir me battre à la guerre. Mon cœur saigne pour tous ceux qui sont tombés, mais je considère qu’il n’y a pas de plus belle mort pour un homme que de mourir sur le champ de bataille ! »
Alors même qu’elle écrit cela, une certaine Florence Nightingale, surintendante de l’Institut pour les soins aux femmes malades à Londres, s’est embarquée pour le théâtre des opérations. Mandatée par le secrétariat à la Guerre, elle se dirige vers Constantinople, pour s’établir à Scutari avec trente-sept infirmières volontaires, formées par elle aux règles de l’hygiène médicale, afin de porter secours aux soldats blessés et malades.
L’héroïsme est poussé au-delà des limites de la raison. À la suite de quelque méprise dans la transmission des ordres, Lord Cardigan a ordonné la charge de la brigade légère, la précipitant sabre au clair sur l’artillerie russe qui l’a massacrée aux deux tiers. Le mauvais sort ou la mésentente entre certains officiers anglais aggravant la situation, la brigade légère n’a été sauvée de la destruction totale que par l’intervention du 4 e régiment de chasseurs d’Afrique de l’armée française.
Florence Nightingale arrive à Scutari le 5 novembre, jour de la bataille d’Inkerman. Les troupes sont dans un état sanitaire épouvantable, sans médicaments, sans nourriture saine, sans égouts. Les vivants croupissent au milieu des morts et l’infection fait rage.
Le 14 novembre, à Balaklava, où les troupes sont cantonnées, une tempête détruit la douzaine de navires chargés de fournitures d’hiver et emporte toutes les tentes. L’armée se trouve isolée dans la boue, sans abri pour se protéger de l’hiver qui vient, sur une terre où pas un arbre ne pousse et où le moindre arbuste a depuis longtemps été déraciné pour faire du feu.
39
« Nous sommes horrifiés », écrit la reine dans son journal. Son cousin George se comporte d’une façon qu’elle trouve plus qu’indigne. Né la même année qu’elle, il régnerait aujourd’hui si Victoria n’avait pas vécu assez longtemps pour assurer sa descendance. Certains avaient même caressé l’idée saugrenue de les marier. George porte le titre de duc de Cambridge depuis la mort de son père en 1850, mais il n’en a pas hérité toute la distinction militaire. Son commandement de la 1 re division de gardes et des brigades de Highlanders à la sanglante bataille de l’Alma a été pour le moins médiocre. Déprimé par l’horreur des combats, il a fondu en larmes, puis, se disant malade, il s’est retiré sur l’île de Malte. Le 30 décembre 1854, Victoria lui écrit, contenant de son mieux son indignation : « J’espère que vous retournerez en Crimée au plus vite. Pardonnez-moi de vous le dire
Weitere Kostenlose Bücher