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Victoria

Victoria

Titel: Victoria Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Joanny Moulin
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franchement : je compte bien que vous ne ferez part à personne de votre moral en berne et de vos sentiments dépressifs. Vous ne pouvez pas savoir combien les gens sont ici médisants, et je vous assure que les clubs n’ont pas perdu de temps pour répandre à votre sujet les mensonges les plus honteux. »
    Rien n’y fait : George ne retourne pas en Crimée, mais rentre en Angleterre. L’effet est désastreux. Les officiers de haut rang sont vilipendés par l’opinion publique. On les tient pour des couards ou des incompétents, fort peu économes de la vie de leurs hommes. La charge de la brigade légère suscite des sentiments mêlés, où la pitié et la révolte contre des ordres d’une cruelle absurdité se mesurent à l’aune de l’admiration du pays pour ses braves.
    Victoria est profondément bouleversée par les souffrances que ses soldats endurent. Elle rend régulièrement visite aux blessés dans les hôpitaux. À Marble Hall, la gorge nouée, elle s’adresse en les appelant par leur nom à chacun de ses grenadiers de la Garde, qui portent encore les uniformes lacérés et tachés dans lesquels ils ont combattu. Son cœur saigne de voir leurs grands corps vigoureux mutilés, aux membres amputés, les poitrines enfoncées par des boulets. Ces gueules cassées, ces visages défigurés à coups de sabre expriment pourtant une indomptable noblesse. Ils plantent dans les siens des yeux brillants de bravoure et de farouche fierté. Ils lui disent leur loyauté avec leurs mots simples d’hommes ordinaires. Leur sincérité fait monter en elle un sentiment de culpabilité qui se répand dans tout son être comme une fièvre. Elle ne parvient pas à prononcer le discours qu’elle avait préparé.
    Au Parlement, le député radical de Sheffield, John Arthur Roebuck, propose une motion de censure contre le gouvernement et exige la nomination d’une commission d’enquête sur la conduite de la guerre. Victoria lui écrit que son attitude est lâche et antipatriotique. Attaquer le cabinet et le haut commandement ne peut que déstabiliser la nation à un moment critique. Mais le mécontentement populaire ne permet pas d’attendre la fin du conflit pour régler les comptes. L’ampleur de la gabegie semble telle qu’elle mènera bien plus sûrement à la défaite si l’on n’y met pas un terme au plus vite.
    En janvier 1855, le gouvernement de coalition, qui réunissait des whigs et des libéraux sous la houlette de Lord Aberdeen, tombe. Le pays demande Palmerston. Victoria ne redoute rien tant que de voir revenir aux affaires ce vieil adversaire retors. Elle appelle Lord Derby, chef du parti conservateur majoritaire. Derby est un homme grave, au regard intense sous des sourcils broussailleux. Ses cheveux en bataille et un collier de barbe blanche encadrent son visage de patricien.
    « Il faut que ce soit Palmerston, lui dit-il, tout le pays le veut.
    — C’est à vous que je m’adresse, my lord, parce que vous êtes à la tête du parti le plus nombreux à la Chambre des communes.
    — J’entends bien, Votre Majesté, mais je crains de n’avoir personne qui soit capable de présider aux Communes, et je ne pourrai former un cabinet acceptable pour le pays que s’il est renforcé par d’autres combinaisons. »
    Derby fronce les sourcils, paraissant réfléchir, laissant à la reine le temps d’admettre l’inévitable évidence de ce sous-entendu.
    « Il est vrai, poursuit-il, quoi que puisse penser un public ignorant, que Lord Palmerston est totalement inapte à cette tâche. À 71 ans, il est désormais très sourd et très aveugle, ne se déplace que difficilement à l’aide de deux cannes, et bien qu’il se donne des airs de jeune homme, il est certain qu’il a fait son temps. »
    La conversation se poursuit sur le commandement de l’armée. Derby convient que les fautes les plus graves incombent aux quartiers généraux en Crimée et que Lord Raglan devra être remplacé. Puis il prend congé pour mener les consultations préalables à la formation d’un gouvernement. Lorsqu’il revient, l’après-midi, c’est pour annoncer que Palmerston accepterait le ministère de la Guerre, mais seulement à condition que Clarendon demeure aux Affaires étrangères, principalement parce qu’il a la confiance de l’empereur des Français. Pour des raisons évidentes, dans une crise ministérielle suscitée par la mauvaise gestion d’un conflit international, Clarendon ne pense pas

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