Victoria
des relations heureusement établies entre nos deux pays. »
La conscience qu’ils ont tous deux du spectacle emblématique qu’ils donnent s’ajoute au plaisir de valser en un lieu si prestigieux.
« Je voudrais bien savoir, poursuit l’empereur, ce qu’était véritablement Louis-Philippe ? Si c’était un brave homme ? Bien des personnes disent que c’était un bon homme tout à fait et d’autres disent que ce n’était que de la finesse.
— Il n’était peut-être ni l’un ni l’autre, mais certainement très gentil. En revanche, pour ce qui était de la politique, il ne distinguait pas le bien du mal, par exemple dans l’affaire des mariages espagnols. »
Dans la chaleur de cette nuit d’été, on sort chercher un peu d’air dans les jardins. Les fontaines illuminées projettent une eau laiteuse dont les lueurs changeantes font scintiller les bijoux et chatoyer les amples crinolines. Quelques invités en tenues orientales ajoutent une note exotique à la féerie du moment. Des guirlandes lumineuses dessinent dans l’obscurité des arcs de triomphe, surmontés d’ovales couronnés où les initiales V et N se côtoient ou s’entrelacent. La soirée se termine par un feu d’artifice, légèrement estompé par la fumée de poudre, dont le bouquet final imprime dans le ciel une esquisse éphémère du château de Windsor.
L’empereur sait se montrer affable et volubile sans jamais prononcer une parole qui l’engage. Il tient avant tout à paraître « bonhomme » et à conquérir ses hôtes. Mais son pouvoir de séduction ne prend guère sur la solide raison germanique d’Albert, et ne parvient à susciter chez Victoria que des sentiments mêlés où l’incertitude le dispute à l’admiration. Seul le prince de Galles lui voue une adulation sans partage et le vénère comme un héros. À 13 ans, Bertie adore Paris, ses fêtes et ses fastes impériaux. L’empereur des Français incarne à ses yeux le souverain idéal. Les instants que l’adolescent en kilt passe en tête-à-tête avec Napoléon III, qui lui fait visiter la Ville lumière dans son cabriolet, entouré de ses rutilants cuirassiers, lui paraissent inoubliables. Il tient à le lui dire : « J’aimerais être votre fils. »
Retournant à l’Exposition universelle, Victoria fait quelques emplettes, achète de petits cadeaux pour ses enfants et ses proches. Soudain, elle s’arrête devant une statue de Jeanne d’Arc, sculptée par Marie d’Orléans, fille de Louis-Philippe morte à 26 ans ; la mélancolie l’étreint.
Désireuse de se promener en ville comme elle le ferait à Londres, Victoria s’échappe seule et simplement vêtue, son cabas au bras, un voile sur le visage. Elle s’en va faire quelques achats rue de Rivoli, place Vendôme et rue de la Paix. Quelques passantes houspillent au passage la bourgeoise.
« Regardez celle-là, s’écrie l’une d’elles, on dirait la reine d’Angleterre ! » La plaisanterie déclenche un rire moqueur, qui lui fait penser qu’en réalité elles ne l’ont pas reconnue.
Partout où elle passe, elle tient à voir de plus près les lieux plus particulièrement chargés d’histoire. À l’Hôtel de Ville, où un bal doit être donné en son honneur, elle reste un long moment dans la salle du Trône.
« C’est là, remarque-t-elle, que Robespierre fut blessé et que Louis-Philippe fut proclamé roi des Français. De ces fenêtres, Lamartine s’est adressé longuement au peuple en 1848. »
On lui demande la permission de donner son nom à une avenue qui va de l’Hôtel de Ville au Châtelet : elle y consent bien volontiers. Déjà, il lui faut ouvrir le bal, tandis que l’orchestre, dirigé par Pasdeloup, joue la Valse de la Princesse royale , puis quelques polkas. Entre deux danses, on lui présente divers invités. Des personnalités d’Afrique du Nord qui viennent lui baiser la main, kadis imposants en burnou blanc décorés de la Légion d’honneur, l’impressionnent fortement. Tout à coup, un cheikh s’agenouille à ses pieds, retrousse le bas de sa robe et lui baise le mollet en s’écriant « Honni soit qui mal y pense ! ». Elle remercie en inclinant la tête, écarlate dans l’effort qu’elle fait pour ne pas céder au fou rire.
Le 24 août, en fin d’après-midi, Victoria et Napoléon traversent ensemble le pont d’Iéna pour arriver devant l’École militaire. Quarante-cinq mille hommes défilent sur le Champ-de-Mars. La
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