Victoria
permettra d’y parvenir. Vos ministres modérés doivent être fermes, et insister pour trouver des moyens de mettre un terme à ce terrible état des choses. Ne cédez pas aux exigences de Messrs Bright et Chamberlain : qu’ils partent ! Déclarez que vous ne serez pas les complices d’une politique faible et vacillante, qui détruit le pays et jettera un immense discrédit sur le gouvernement. »
En réalité, le gouvernement est dans l’impasse. Les nationalistes irlandais lui posent des problèmes qu’il ne sait pas régler. Leur stratégie d’obstruction fait des émules dans d’autres groupes parlementaires, chez les radicaux et le « quatrième parti » de Randolph Churchill. La Chambre des communes s’en trouve grippée, et c’est tout le système des institutions britanniques qui est déconsidéré. Le Parlement devient le théâtre de scènes consternantes : après de longues heures d’arguties délibérément prolongées, le speaker interrompt les débats, sous les protestations véhémentes des députés. L’un d’eux reprend la parole. Le speaker lui ordonne de se rasseoir. Il refuse et doit être traîné dehors par le sergent d’armes, parfois suivi par ses collègues solidaires.
Les institutions paraissent absurdement inadaptées à l’esprit du temps. Le cas de Charles Bradlaugh, par exemple, contribue à saper leur dignité. Le député de Northampton, activiste turbulent, proclame haut et fort son athéisme. Le mécréant s’apprête à prêter un serment auquel nul ne peut accorder foi. Les tribunaux lui en dénient le droit. Contraint de démissionner, Bradlaugh se fait réélire autant de fois que nécessaire. Interdit d’accès, il force néanmoins l’entrée, tandis que ses sympathisants font un chahut de tous les diables dans les tribunes publiques. Le sergent d’armes expulse, manu militari, le représentant du peuple qui se débat. Bradlaugh se retrouve dehors tout ébouriffé et ses habits en lambeaux.
« La reine doit remercier Mr Galdstone pour ses rapports réguliers et intéressants sur les séances de la Chambre des communes, dont plus d’une est d’un caractère tout à fait honteux. Mais que pouvez-vous attendre de mieux de la part de députés aux opinions si bassement révolutionnaires qui sont aujourd’hui à la Chambre des communes ? »
Dans un tel capharnaüm, naturellement, Sa Majesté renonce à venir en personne prononcer un discours du trône et répondre aux questions des députés. De nouveau, Victoria paraît se retirer d’un monde qui se désagrège. Dans une époque qui semble marcher résolument vers le républicanisme et la démocratie, la monarchie est menacée de désuétude.
Le 13 mars 1881, Alexandre II est assassiné à Saint-Pétersbourg. Le tsar émancipateur des serfs tombe sous les coups d’un terrorisme politique qui, depuis des années, a donné lieu à une véritable chasse à l’empereur. Victoria elle-même a été la cible de nombreux attentats, le premier quand elle était encore au berceau.
« Un sentiment d’horreur me transit de part en part ! »
Le 19 avril 1881, Lord Beaconsfield s’éteint à Hughenden. Disraeli venait de publier son dix-septième roman, Endymion . Il en rédigeait un autre qu’il n’a pu finir. Victoria lui avait envoyé l’un de ses médecins, le Dr Richard Quaint. Lord Beaconsfield souhaitait-il que Sa Majesté lui rende visite ? « Non, a-t-il répondu, il ne vaut mieux pas. Elle me demanderait seulement de transmettre un message à Albert. » Quelques jours plus tard, il s’est dressé sur son lit comme s’il allait prononcer un discours aux Communes. Puis il est mort sans émettre de dernier mot.
Victoria aurait voulu qu’il repose à Westminster Abbey. À cela, il n’a rien répondu. Benjamin Disraeli, comte de Beaconsfield, vicomte de Hughenden, est inhumé auprès de son épouse Mary Ann. Comme la reine ne doit assister à aucunes funérailles, elle y a fait porter une couronne de primevères : « Ses fleurs favorites, d’Osborne, en témoignage d’affection de la reine Victoria. » En avril, elle s’est rendue sur sa tombe à Hughenden, puis elle y a pris le thé dans sa bibliothèque, sous son propre portrait.
« Il me semble entendre sa voix, et la façon passionnée, intense, qu’il avait d’évoquer toute chose. »
Cette année-là, pour la première fois, Sa Majesté cesse de se déplacer sans précautions particulières. Ses
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