Victoria
mouchoirs, les hommes leurs chapeaux. À Elizabeth Barrett, qui est au premier rang des spectateurs, ses larmes inspirent un poème : « Dieu te bénisse, reine en pleurs… »
Le public s’abandonne, sentimental, à l’émotion de voir cette souveraine enfant monter sur le trône moins d’un mois après sa majorité. Déjà la politique s’empare de son image. Le Times , se posant en preux défenseur d’une reine vierge en péril, critique violemment le discours que Melbourne lui a fait prononcer la veille, accusant les whigs de la manipuler à leurs fins.
« Nous avons rarement entendu parler d’un procédé politique plus dénué de principes, plus déloyal et plus cynique que celui-ci. C’est véritablement une trépanation de leur innocente souveraine pour la contraindre à une politique qui sert leurs intérêts égoïstes. »
Toujours de noir vêtue, arborant l’ordre de la Jarretière sur l’épaule gauche, Victoria préside un nouveau Conseil, où lui sont présentés les évêques, puis les juges. Mille fois on lui baise la main. Quand elle se retire, sitôt la porte refermée elle part en courant dans le corridor.
Elle doit encore signer une quarantaine de textes de loi. Celle qui abolit le pilori, telle autre transférant le recours en grâce au ministre de l’Intérieur, car ce ne serait pas d’une femme d’avoir à prendre la décision finale en matière de peine capitale. La question se pose de savoir de quelle façon il convient de modifier la formule de l’assentiment royal en français « Le Roy le veult ». Il faut aussi régler la succession au trône de Hanovre, dont elle est écartée en vertu de la loi salique. C’est son oncle, le duc de Cumberland, qui devient l’héritier présomptif de la couronne britannique et le roi de Hanovre sous le nom d’Ernest-Auguste I er .
« Partez sur-le-champ, lui dit le duc de Wellington avec son franc-parler de grand soldat, et prenez garde de ne pas vous faire lapider. »
Si Victoria accorde de nombreuses audiences, Sir John Conroy ne fait désormais pas partie des personnes dont elle tolère la présence à sa cour. Pour autant, il ne s’avoue pas vaincu et demande à être récompensé pour services rendus. Mme de Kent, naturellement, plaide sa cause.
« Sir John a ses défauts, il a peut-être fait des erreurs, mais il a toujours eu les meilleures intentions. »
Que Victoria s’obstine à le battre froid, et sa mère la met en garde contre le qu’en-dira-t-on. Qu’elle appuie son refus de le recevoir sur l’accord de Lord Melbourne, et la duchesse de Kent se fait par trop piquante.
« Prends garde, Victoria, tu connais ta prérogative ! Prends garde que Lord Melbourne n’est pas le roi. »
La reine n’est pas certaine de permettre encore bien longtemps que quiconque lui parle sur ce ton, serait-ce sa chère maman.
Lorsqu’elle reçoit Stockmar, c’est pour apprendre que « J. C. » lui écrit aussi, faisant valoir qu’il s’est consacré pendant dix-huit ans à l’éducation de Victoria, qu’il a renoncé pour cela à une carrière dans l’armée, dépensé une fortune de ses propres deniers. Stockmar lui montre la lettre. Il est d’avis qu’il est préférable de contenter l’insolent pour s’en débarrasser au plus vite. Quel est le prix de son silence ? Il demande 3 000 livres par an sur la cassette de la reine, le grand ordre du Bain, et d’être élevé à la pairie.
« C’est vraiment trop fort ! s’écrie Lord Melbourne en lisant cela, a-t-on jamais entendu pareille impudence ? »
Il aura l’argent et la décoration, mais pas question qu’il entre à la Chambre des lords. On en fait un baronet en attendant d’en faire un pair d’Irlande quand une occasion se présentera. Qu’à cela ne tienne, le fâcheux décide de rester au service de la duchesse, faisant répondre par Stockmar qu’il ne bougera pas tant que la reine n’aura pas tenu toutes ses promesses.
Le palais de Kensington n’est décidément pas une demeure qui puisse convenir à une souveraine. Il est trop petit et partagé en appartements pour divers membres de la famille royale. Le palais St James, qui fut la résidence officielle à Londres de ses prédécesseurs, ne sied guère mieux. Triste et sombre, il est trop étriqué pour soutenir la comparaison avec les palais des grands monarques d’Europe.
George IV avait confié à l’architecte John Nash la tâche d’agrandir, pour en faire
Weitere Kostenlose Bücher