Victoria
un palais digne de ce nom, la maison de Buckingham, dont George III avait autrefois fait l’acquisition pour la reine Charlotte. Puis le coûteux chantier s’est éternisé. Les Londoniens trouvent cette lourde bâtisse atroce et ses intérieurs criards encore pires. Les extravagances pharaoniques de Nash lui ont coûté sa place, et lors de son accession Guillaume IV a demandé à Edward Blore de finir l’ouvrage pour un coût plus raisonnable. Après l’incendie de Westminster en 1834, le roi a eu la mauvaise idée de s’en débarrasser en l’offrant au Parlement, qui n’en a pas voulu. Puis Guillaume est mort avant d’avoir pu s’y installer.
Victoria fait de Buckingham Palace son palais royal. Elle y emménage le 13 juillet 1837. Les nombreux salons, si spacieux et hauts de plafond, la ravissent. Quelles merveilleuses salles de bal cela fera ! Déjà, un orchestre, composé uniquement d’instruments à vent, joue tous les soirs après dîner. Elle a repris ses leçons de chant avec Luigi Lablache.
Dans les écuries royales, chevaux et carrosses sont logés tout autour d’une immense cour. Comme elle n’a plus monté depuis sa maladie de l’année précédente à Ramsgate, elle s’exerce d’abord dans le grand manège couvert et les jardins.
Le 17 juillet, elle se rend au Parlement pour proroger la session. La procession descend le Mall vers Trafalgar Square, puis remonte Whitehall, par Downing Street et jusqu’à Westminster. Dans le palais détruit par l’incendie, les lords se réunissent provisoirement dans la Chambre peinte, hâtivement restaurée. Le manteau de cérémonie écarlate, ourlé d’or et doublé d’hermine, lui paraît terriblement lourd. Quelque peu intimidée, au moment de lire son discours du trône, elle sent à ses côtés la présence rassurante de Lord Melbourne.
Elle reçoit en audience les ambassadeurs étrangers. Le comte Orloff lui remet une lettre de son parrain le tsar de Russie, et la décore de l’ordre de Sainte-Catherine. Puis c’est une interminable réception royale, où défilent solennellement devant elle les centaines de personnes qui lui sont officiellement présentées et toutes lui baisent la main.
Lorsqu’elle ne sort pas au théâtre ou à l’Opéra, la reine donne chaque soir de grands dîners. Cependant, on remarque bientôt que ses soirées manquent quelque peu de brio. Elle exaspère Melbourne en reprochant aux messieurs de s’attarder à table. Quand elle ne fait pas des puzzles, on la voit jouer aux échecs avec sa chère tante Louise, venue lui rendre visite au mois d’août, en compagnie de Léopold. Melbourne, Palmerston, Conyngham, imperceptiblement ironiques, rivalisent de recommandations contradictoires sur les coups à jouer pour que la reine d’Angleterre triomphe, au moins chez elle, de la reine des Belges.
Puis Victoria glisse un mot à chacun de ses invités, soucieuse surtout de ne trop rien dire. Voici Greville, greffier du Conseil, dont on croit savoir qu’il répète par trop aisément ce qu’il glane. Comme il s’intéresse aux chevaux, voilà qui fera un prudent sujet de causerie.
« Avez-vous monté aujourd’hui, Mr Greville ?
— Non, Ma’am , pas aujourd’hui.
— C’était une belle journée.
— Oui, Ma’am , une très belle journée.
— Mais il faisait plutôt froid.
— Il faisait plutôt froid, Ma’am .
— Votre sœur, Lady Francis Egerton, monte parfois, je crois, n’est-ce pas ?
— Elle monte, parfois, Ma’am . »
L’étiquette interdisant à quiconque de changer le sujet d’une conversation avec la reine, Greville est au désespoir. Il se lance néanmoins.
« Votre Majesté a-t-elle monté aujourd’hui ?
— Oh ! oui, une très longue sortie.
— Votre Majesté a-t-elle un bon cheval ?
— Oh ! Un très bon cheval. »
Il est vrai que Victoria monte maintenant avec un plaisir retrouvé. Elle essaie successivement des montures différentes. Elle passe de la douce Barbara au puissant Faeron, apprivoise peu à peu le difficile Ottoman. Elle ne craint pas, bien au contraire, les chevaux rapides et rétifs, comme le terrible Monarch.
À Windsor, elle apprécie les chevauchées dans le Grand Parc. Lorsqu’elle est revenue pour la première fois au château, malgré le public enthousiaste rassemblé pour l’accueillir sur la Longue Marche, la pluie battante ajoutait à sa mélancolie. Le souvenir de son oncle Guillaume, le triste veuvage de sa tante
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