Victoria
bondé. Les plus âgés occupent les quelques sièges, ainsi que le greffier. Debout tout autour de la pièce, dont les quatre murs sont doublés de massives colonnes blanches régulièrement espacées, se tiennent les lords et les deux archevêques, le Premier ministre Lord Melbourne, le duc de Wellington, commandant en chef des forces armées.
« Sa Majesté la reine ! »
Les portes à deux battants s’ouvrent sur la silhouette d’une jeune femme en simple robe noire. Sa petite taille lui donne l’air d’une enfant. Ses cheveux blonds sont relevés et tressés en couronne. Son visage n’exprime rien. Elle s’avance absolument seule, comme elle l’a voulu, et fait sa révérence aux lords. Ses oncles les ducs de Cumberland et de Sussex viennent à sa rencontre pour l’accompagner au trône. Elle monte et s’assied sur l’avant du siège, très droite, prenant appui sur le repose-pied. D’une petite voix aiguë et claire, qu’aucune émotion ne trouble, elle lit la déclaration rédigée par son Premier ministre.
« La sévère et affligeante perte que la nation a subie avec la mort de Sa Majesté, mon oncle bien-aimé, a fait que m’est dévolu le devoir d’administrer le gouvernement de cet empire. Dans l’espoir que la Divine Providence, qui m’a appelée à cette tâche, me donnera la force de m’en acquitter, et que je trouverai, dans la pureté de mes intentions et dans mon zèle pour le bien public, le soutien et les ressources qui appartiennent d’ordinaire à un âge plus mûr et à une longue expérience. »
Le papier qu’elle tient pour lire son discours ne tremble pas. Ses doigts courts portent chacun plusieurs bagues, y compris le pouce. Elle trouve que cela embellit ses « vilaines mains ». « Cela les enlaidit », lui a dit Lord Melbourne.
« Je place ma ferme confiance dans la sagesse du Parlement ainsi que dans la loyauté et l’affection de mon peuple. »
Sa présence captive les esprits. Sa voix et sa stature de très jeune femme, son assurance où transparaît à l’évidence une pleine conscience de la solennité de sa situation, imposent le respect avec une autorité étrangement naturelle.
« Ce sera mon constant souci que de maintenir la religion réformée comme établie par la loi, assurant en même temps à tous la pleine et entière liberté de culte. Je protégerai fermement les droits, et j’œuvrerai de toutes mes forces au bonheur et au bien-être, de toutes les classes de mes sujets. »
C’est à peine si elle jette de temps à autre un regard discrètement interrogateur à Lord Melbourne, pour s’assurer de ce qu’il convient qu’elle fasse ensuite. Les membres de la noblesse s’approchent l’un après l’autre et lui jurent allégeance, s’agenouillant pour lui baiser la main. Elle incline gracieusement la tête, mais ne dit pas un mot. Quand vient le tour des ducs royaux, elle rougit intensément de voir ces hommes puissants et craints s’humilier devant elle. Le duc de Sussex est infirme : elle se lève et s’avance vers lui : « Ne vous agenouillez pas, cher oncle, car je suis toujours Victoria, votre nièce. »
En sortant de la salle du Conseil, Victoria trouve la duchesse de Kent qui l’attend.
« Maintenant, chère maman, suis-je vraiment et réellement reine ?
— Vous voyez bien, ma chère, qu’il en est ainsi.
— Alors, chère maman, j’espère que vous m’accorderez la première requête que je vous fais en tant que reine. Laissez-moi être moi-même pour une heure. »
Cette nuit-là, Victoria dort seule dans sa chambre, sans sa mère, pour la première fois de sa vie. Elle s’oppose catégoriquement à ce que Lady Flora Hastings, et plus encore Sir John Conroy, accompagnent Mme de Kent le lendemain à la cérémonie de proclamation.
La procession entre au palais St James par la porte cochère entre les deux tours polygonales en briques, avec leurs créneaux fantaisie. La foule des curieux se masse sur Pall Mall et jusque dans la cour. Le canon tonne. Bien que le texte officiel porte ses noms de baptême, « Alexandrina Victoria », elle a demandé que les hérauts ne lisent pas son premier prénom.
Les tambours roulent et les trompettes sonnent. Elle entend les hourras. Elle s’approche de la fenêtre ouverte et fait un signe de la main. La foule l’acclame. Là-bas, massés en grand nombre derrière les Horse Guards en cuirasse qui brandissent leurs sabres, les femmes agitent leurs
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