Victoria

l’école de Westminster, exerçant leur privilège historique, crient «  Vivat Regina !  ».
    Victoria et l’archevêque de Cantorbéry se tournent successivement vers les quatre points cardinaux.
    « Sirs, je vous présente la reine Victoria, reine incontestée de ce royaume. Donc, vous tous qui êtes venus ce jour pour lui rendre hommage, voulez-vous le faire ? »
    «  God save Queen Victoria !  » par quatre fois résonne universellement.
     
    Ayant reçu en présent une nappe d’or et un lingot, elle s’agenouille sur les marches de l’autel, pour entendre la première partie du service de la communion et le sermon de l’évêque de Lincoln. Puis vient la longue litanie du couronnement.
    « Tout ce que j’ai promis ici, je le ferai et le tiendrai, avec l’aide de Dieu. »
    Elle embrasse la Bible, signe le serment et prie, tandis que le chœur entonne le Veni creator spiritus .
    Elle se retire alors dans la chapelle Saint-Édouard, qui est en réalité un petit réduit très sombre, derrière l’autel. Ses dames lui ôtent sa tiare de diamants et la déshabillent, pour lui passer une tunique de coton ornée de dentelle. Puis elles la revêtent de la robe dalmatique en brocart d’or doublé d’écarlate, décorée des motifs de la rose d’Angleterre, du chardon d’Écosse et du trèfle d’Irlande.
     
    Tête nue, elle revient dans l’abbaye et prend place sur le trône de saint Édouard. C’est un antique et simple siège de bois dur, dont les quatre pieds sont des lions dorés. Cet instant solennel étant suivi d’une certaine hésitation – les évêques ne semblent pas très sûrs de ce qui vient ensuite –, Victoria se tourne vers le prélat le plus proche.
    « Dites-moi ce que je dois faire, je vous prie, car ils ne le savent pas. »
    Sur ces mots, l’évêque de Durham lui met l’orbe dans la main.
    « Qu’est-ce que je dois en faire ?
    — S’il plaît à Votre Majesté de le porter dans Sa main.
    — Vraiment ? C’est très lourd. »
     
    Enfin, quatre chevaliers de l’ordre de la Jarretière s’approchent et tendent au-dessus de sa tête un dais en drap d’or. L’archevêque de Cantorbéry verse un peu d’huile de la sainte ampoule et procède à l’onction royale.
    « Et comme Salomon fut oint roi par Zadok le prêtre et Bathan le prophète, ainsi sois-tu ointe, bénie et consacrée reine de ce peuple, que le Seigneur ton Dieu t’a donné de gouverner, au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit. Amen. »
    L’archevêque se retourne et cherche l’orbe qu’il ne trouve pas. L’évêque de Durham a disparu. Voyant que le globus cruciger pèse déjà dans la main de Sa Majesté, il lui met le sceptre dans l’autre. Puis il entreprend de lui passer l’anneau. Victoria présente l’auriculaire. Le prélat insiste pour lui enfiler à l’annulaire une bague bien trop petite. Il force tant et plus. Elle se retient de crier.
    La reine se recueille.
    Enfin, l’archevêque de Cantorbéry reçoit du doyen de Westminster la couronne, qu’il dépose sur la tête de Victoria.
    D’un même geste les pairs et pairesses du royaume coiffent leurs couronnes dans un scintillement de diamants, les canons du Parc et de la Tour tonnent, tambours et trompettes retentissent dans l’abbaye tandis que s’élève la clameur : «  God save the Queen !  ».
    Tour à tour s’approchent alors, pour l’intronisation et l’hommage, l’archevêque de Cantorbéry au nom de tous les lords spirituels, les ducs royaux et les pairs. Le Lord Chamberlain jette dans la nef des poignées de médailles. S’ensuit une joyeuse mêlée où les demoiselles d’honneur elles-mêmes plongent avec empressement.
    Les pairs du royaume gravissent l’un après l’autre les marches du trône pour aller baiser l’anneau et toucher la couronne sacrée, à laquelle certains des plus âgés s’accrochent assez péniblement. Tous prononcent les mêmes mots ancestraux, en une litanie interminable : « Je deviens véritablement votre homme lige, de vie et de membre, de vénération terrestre, de foi et de confiance, pour vous défendre, à la vie à la mort, contre toutes sortes de gens, avec l’aide de Dieu. »
     
    Victoria croise le regard souriant de Lehzen, sa chère « Daisy » qui l’observe, émue, du haut d’une loge.
    Soudain le vieux Lord Rolle, qui a 82 ans, trébuche et dégringole au bas des marches. Il se relève et s’apprête à faire un deuxième essai.
    « Ne