Victoria
pourrait-il avoir quelque lointain rapport avec l’intensification récente de la correspondance qu’elle entretient avec le roi des Belges ?
Léopold a préféré, au dernier moment, ne pas accepter son invitation à la cérémonie. Certes, il n’est pas d’usage que les souverains assistent au couronnement de leurs pairs ; ils se font représenter pas des ambassadeurs. Cependant, la présence d’un aussi proche parent aurait sans doute pu se justifier. Il y avait, dans sa réponse finale, comme une sorte d’humour un peu grinçant.
« Tout bien réfléchi, j’ai pensé que la présence d’un roi et d’une reine à votre couronnement constituerait, peut-être, un simple hors-d’œuvre . »
Sans doute avait-il d’excellents motifs pour préférer se tenir à distance respectable du lion britannique. La difficile ratification du traité des XXIV articles par les Pays-Bas, réglant les questions complexes des forteresses de Maastricht et de Luxembourg et de la navigation de l’Escaut, ne date que du mois d’avril. Car, depuis Waterloo et le congrès de Vienne, le territoire belge est au centre du dispositif de maintien de la paix entre les principales puissances européennes qui se sont réunies à la conférence de Londres. Pour ces diverses raisons, l’indépendance chèrement acquise de la Belgique, après huit ans d’une guerre larvée contre la Hollande avec le soutien de la France de Louis-Philippe, appelé à la rescousse par son gendre Léopold I er , ne favorise pas particulièrement la bonne humeur des ultras protestants.
Certains voient aussi d’un très mauvais œil la présence du baron Stockmar dans l’entourage immédiat de la jeune souveraine. Depuis l’accession de Victoria, l’émissaire de Léopold a ses appartements dans les murs mêmes de Buckingham Palace. Il a l’oreille de la reine, avec une facilité qu’elle refuse à sa propre mère. Maître sans égal dans l’art de se faire oublier, le cher Stocky écrit régulièrement au roi des Belges pour lui faire part, à demi-mot, des moindres détails de la vie quotidienne à la cour d’Angleterre. La présence de cet agent étranger y rencontre une telle hostilité qu’il trouve plus judicieux de rentrer en Allemagne, au début de l’automne 1838.
Léopold doit désormais correspondre directement avec sa nièce. Il le sait : les lettres que l’on confie à la poste sont toujours lues avant d’arriver à leur destinataire. Mieux vaut partir de ce principe. D’ailleurs, Léopold l’explique lui-même à Victoria, dont il continue de s’appliquer, lui aussi, à parfaire l’éducation.
« Laissez-moi vous donner un exemple : nous sommes toujours harcelés par la Prusse à propos de ces forteresses. Eh bien, pour dire au gouvernement prussien de nombreuses choses, que nous ne souhaiterions pas leur dire officiellement, le ministre va écrire une dépêche à notre homme à Berlin, et l’envoyer par la poste . Les Prussiens sont sûrs de la lire, et d’apprendre de cette manière ce que nous voulons qu’ils entendent. Je vous donne ce tour , pour que vous soyez à même de vous en défier. »
Charité bien ordonnée commence toujours par soi-même. Il en va du pouvoir de façon très semblable. La première difficulté de la jeune souveraine est la discipline d’une solitude consentie. Dans sa position, les indiscrétions les plus bénignes en apparence peuvent avoir de fâcheuses conséquences. En la mettant en garde, Léopold n’oublie pas ses propres intérêts. Il parie toutefois que leur meilleur atout est l’indépendance d’esprit de Victoria par rapport à son entourage immédiat. Prenant, par exemple, le prétexte de la prévenir contre la comtesse de Lieven, l’épouse fort bavarde de l’ambassadeur de Russie, il l’invite à préserver son quant-à-soi.
« Ne permettez jamais à quiconque, lui recommande-t-il, de vous parler de vous-même et de vos affaires sans que vous l’ayez vous-même désiré. Détournez la conversation, et faites sentir à la personne qu’elle a commis une erreur. »
À mots couverts, cependant, il se pourrait qu’il vise ainsi certains personnages autrement plus influents que Mme de Lieven. Il imagine aisément tout l’intérêt que peut avoir un Premier ministre à cultiver une relation intimement amicale avec la souveraine. Léopold voit aussi que Melbourne le remplace dans son rôle de conseiller privilégié de Victoria. Les circonstances,
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